Dough
5.8
Dough

Film de John Goldschmidt (2015)

Avant d'étaler mon argumentaire, que j'espère plus concis pour une fois, je permets de poser la question de l'utilité d’écrire une critique sur ce film découvert lors de la dernière Cinexpérience. A l'instar d'un débat qui a tourné court et qui ne fut que répétitions et tournoiements (en dépit de la bonne volonté des intervenants que je salue), je doute fortement qu'il y ait tant de choses à dire sur Dough. Pour les muffins, ce serait une autre affaire, encore faudrait-il y goûter... Mais bon, puisque j'ai décidé de me lancer dans l’écriture de quelques maigres lignes sur le film, let’s go et adieu bon goût et joli verbe...


D'emblée, j'avoue sans honte particulière ne pas m'être ennuyé une seule seconde devant Dough. L'histoire de ce vieil homme juif, prêt à tout pour sauver sa boulangerie des griffes d'un magnat de l'immobilier revanchard, tendances racistes voire un tantinet antisémites, qui embauche un gamin noir et musulman zonant dans sa banlieue et cédant aux sirènes du trafic de drogue est drôle et touchante. On rit de bon cœur devant la cocasserie des situations auxquelles sont en proie notre duo de protagonistes, fut-ce lors des séances de dégustation de ces pains et pâtisseries bien euphorisantes (normal le gamin y fout de la beuh dedans) qui permettent de relancer la boutique ou devant le caractère extrêmement caricatural des personnages, du rapace de l'immobilier à la veuve joyeuse et j'en passe. C'est une comédie aux accents sociaux, dénuée de prétention, plutôt honnête dans son intention et son propos aussi vu et revu soit-il au niveau des idées – toutefois intéressantes – qui y sont proposées, sans qu'elles donnent lieu à une intense réflexion de la part du spectateur ni à un traitement en profondeur de la part du réalisateur (ce qui est à mon sens grandement dommageable à l'intérêt de cette œuvre). Pourtant, il y aurait de quoi faire, entre le thème de la rencontre entre les cultures (maintes et maintes fois traité, notamment avec Qu'est ce qu'on a fait au Bon Dieu ?), le dialogue inter-religieux (idem), l'abandon des banlieues et de ses habitants, le retrait de toute perspective d'avenir aux jeunes issus des quartiers ou encore la défense du petit commerce face à la grande distribution et à l'éloignement des zones commerciales vers les périphéries (sujet qui n’a jamais été autant d'actualité). Néanmoins, n’est pas Ken Loach (je pense ici à La part des anges) ou Mike Leigh (Be-happy) qui veut, encore faut-il le souhaiter, ce qui semble nullement l'intention ici (ou si c'est le cas, autant dire que cela devient de la présomption de la part du réal et, pour le spectateur, à comparer La Tour d'argent à McDo, comme le disait justement la seule intervenantE du débat de mardi) : la mise en scène est franchement digne d'un téléfilm ou d'une série britannique de l'après midi, quant le scénario n'est que grosses ficelles, tirage par les cheveux, déjà-vu et surtout couru d'avance. En feel-good movie digne de ce nom, il laisse se profiler une happy end à 100 miles et ce n'est pas tellement spoiler que d'avouer que c'est le cas.


Alors oui, autant vous prévenir tout de suite, c'est cliché, cliché de chez cliché, putain de cliché au possible. Dans la caricature, ça y va grave : le jeune noir sort des banlieues, passe sa life à zoner, cède à l'appel du trafic de drogue, se plaçant sur la coupe d'un blanc qui cultive de la beuh dans sa baraque sise dans une banlieue résidentielle et pas très happy pour le coup quand tu te fous de sa gueule ou que tu lui rends pas sa précieuse et le fric qui va avec. Inutile de souligner que la mère du gamin porte le voile (par contre elle bosse jour et nuit et ne vit pas des allocs – tiens un cliché de moins – bon c'est vrai qu'on est en Angleterre, berceau du néo-libéralisme, du renforcement des inégalités, de l'abandon des services publics et des politiques sociales et sanitaires à l'attention de sa population) quand le fils fait ses cinq prières quotidiennes au boulot (sans que l'acteur ne les prononce en arabe, confirmation faite d'une locutrice de la langue, ce qui est quand même plutôt moyen en termes de crédibilité bien que le spectateur néophyte des subtilités de la langue n'y voit que du feu).. Dans le genre cliché, notons également la lutte de David contre Goliath, le petit boulanger veuf (et dragué par la fameuse veuve dont je parlais ci-dessus) propriétaire d'une boutique vieillotte (sa famille la détient depuis plus d'un siècle, depuis l'arrivée de ses ancêtres en Grande-Bretagne, et il perd ses clients les uns après les autres) et dont le fils devenu avocat ne veut pas entendre parler d'un côté, et le rapace tendance gros connard (dans tous les sens du terme) de l'autre. De fait, on assiste à un jeu de bons mots fait de blagues aux sauces raciste et antisémite d'une finesse extraordinaire, correspondant à des visions primaires de l'autre et à des préjugés dénués de tout fondement. Caricatural, vous dites?


Et pourtant, paradoxalement me vint durant la projection une question à l'esprit – également transposable à d'autres films de ce style : n'est-ce pas par le cliché que l’on démonte le mieux le cliché ? Vaste sujet pour débat tout aussi vaste, ce qui représente selon moi l'intérêt majeur du film. N'est-ce pas en exagérant à l'extrême des situations et des personnages définis par des préjugés largement véhiculés auprès de la population (et en partie construits par cette dernière) – je pense bien sûr à tous ceux qu'on range usuellement dans la catégorie des « minorités » bien que je tende à trouver cette catégorisation un tantinet irritante (et il n'est pourtant nullement question d’une quelconque bien pensance émanant de mon esprit) – par la sphère médiatique et le champ politique entre autres, que l'on participe à la déconstruction d'un préjugé? L'utilisation de clichés et leur appréhension par l'humour – aussi peu fin soit-il dans ce cas – ne permet-elle pas de véhiculer davantage de valeurs de tolérance et de respect tout en freinant le processus de catégorisation et d'association systématique d'acteurs à des images auxquelles ils ne correspondent pas forcément ? N'est-il pas nécessaire d'utiliser le cliché (bien qu'il soit ici utilisé à outrance) afin de rompre avec la montée d'une pensée réactionnaire à l'encontre de ceux qui ne rentrent pas dans une "norme" ou un "portrait-type" de l'habitant d'un pays (que ces derniers soient définis par des critères objectifs ou hautement subjectifs) et surtout avec le racisme ambiant et largement diffusé par de pauvres connards sur les réseaux sociaux derrière leur pseudo minable et une image de profil à la con, histoire de bien montrer leur courage et de poser leurs couilles (ou leurs ovaires) sur la table? Ou au contraire, la diffusion de clichés outranciers et ouvertement exagérés ne contribue-t-elle pas, à l'inverse, à renforcer la permanence d'une haine raciale et antisémite (on pourrait également dire homophobe, mais ce n'est point le sujet du film) auprès d'une part croissante (ce qui reste à prouver, pensant naïvement qu’une frange non négligeable de la société est malgré tout parvenue à évoluer et à dépasser ces abjections) de la population (en France et dans bien d'autres contrées)? Ou comment apporter une dose de réflexion s'agissant d'un film qui est en plutôt dénué...


Bref, je disais que Dough était plein de bons sentiments, caricatural et cliché à souhaits, pas fin pour un sou, plutôt mal réalisé et inégalement interprété, dénué de surprise, bourré de grosses ficelles. Et pourtant, comme tout feel-good movie qui se respecte, ça fonctionne plutôt pas mal dans l'ensemble, c'est assez hilarant, les éclats de rire sont fréquents (certains sont restés complètement hermétiques à cet humour, ce que je peux également entendre), ça te file la banane, le smile, et tout ce que vous voulez, et ressortir de la salle en ayant le sourire, putain qu'est ce que c'est bon. Après, sérieusement, est-ce que ce film mérite de se rendre en salles pour le découvrir ? ... (à titre personnel, je préfère toujours découvrir un film en salles, la magie de l'écran opérant toujours quelque soit la qualité du film)

rem_coconuts
6

Créée

le 21 avr. 2016

Critique lue 859 fois

7 j'aime

2 commentaires

rem_coconuts

Écrit par

Critique lue 859 fois

7
2

D'autres avis sur Dough

Dough
Marvellous
7

J'étais Allah Cinexperience #26

Après ce jeu de mot très douteux, passons à la vraie critique... A chaque cinexpérience, c'est la même chose : je prie que, lorsque le film démarre, les logos qui défilent soient anglais, histoire...

le 20 avr. 2016

9 j'aime

4

Dough
rem_coconuts
6

Cliché Muffins Movie

Avant d'étaler mon argumentaire, que j'espère plus concis pour une fois, je permets de poser la question de l'utilité d’écrire une critique sur ce film découvert lors de la dernière Cinexpérience. A...

le 21 avr. 2016

7 j'aime

2

Dough
Shimura
7

Bon deal

Je suppose que je dois me fendre d'une critique puisque j'ai été gentiment invité à voir ce film par le biais de la cinexpérience. Alors voilà : C'est une bonne petite comédie à caractère social à...

le 19 avr. 2016

6 j'aime

Du même critique

21 nuits avec Pattie
rem_coconuts
7

"Il aurait fallu tous les vents d'Espagne pour la sécher..." (ou 21 raisons d'y passer 21 nuits)

Le nombre 21 n'est pas exempt de symboles. 21, c'est l'atout le plus fort au tarot. C'est également l'âge de la majorité aux Etats-Unis, le siècle dans lequel nous évoluons présentement, le numéro...

le 25 nov. 2015

13 j'aime

6

Ma vie avec John F. Donovan
rem_coconuts
6

Lettre à Xavier D.

Cher Xavier, Tout comme vous avez écrit une lettre à destination du grand Leonardo Dicaprio à vos onze ans, sans que celui-ci ne vous ait jamais répondu, tout comme votre jeune héros (ou plus...

le 12 mars 2019

12 j'aime

6

Les Oiseaux de passage
rem_coconuts
5

Les âmes perdues

[FORMAT COURT] Alors la France est marquée par les évènements de mai 68 et qu’éclate le Printemps de Prague en Tchécoslovaquie, rien de tout cela chez les Wayuu de Colombie. Après un an de réclusion...

le 9 avr. 2019

11 j'aime

7