Dracula: historique du mythe + éléments mémorables de cette adaptation cinématographique
Même si ce "Dracula" n'est pas le premier film à avoir présenté les vampires à l'écran dans l'histoire du cinéma, il est cependant la première réelle adaptation du célèbre roman de Bram Stoker mettant en scène Dracula le vampire. Il demeure à ce jour un grand classique du cinéma et le nom de Dracula est resté depuis lors dans les mémoires de chacun...
Les vampires ont fait l'objet de bon nombre d'adaptations cinématographiques, et ce pendant près de cent ans. Parmi les grands classiques ayant précédé "Dracula", il y a notamment "Les Vampires" de Louis Feuillade, un film sorti en 1915 et composé de 10 chapitres, le tout représentant 440 minutes de film. Un autre film célèbre est "Nosferatu le vampire", un exemple classique de l'expressionnisme allemand (le film est sorti en 1922), inspiré mais non adapté du roman "Dracula". Dans ce film, le vampire était le comte Orlok, interprété par l'acteur Max Schreck, et il reste à ce jour l'un des seuls vampires a refléter exactement le physique répugnant décrit par Bram Stocker dans son livre.
A vrai dire, l'histoire de "Dracula" remonte à 1897, lorsque le roman de Bram Stocker fut publié pour la première fois. L'auteur s'était en réalité inspiré d'un prince transylvain du XVe siècle, dénommé Vlad Dracula, alis Vlad l'empaleur, qui embrochait ses ennemis, son supplic de prédilection. Stoker fut le premier à utiliser la légende de ce personnage historique et l'associa à celle du vampire. Les deux légendes sont devenues indissociables depuis lors.
Cependant, le personnage historique de Dracula servit uniquement à habiller le roman de Stoker et non à l'inspirer pour l'histoire. L'histoire, elle, est inspirée de la tradition littéraire et folklorique du vampire, mais c'est Bram Stoker qui fit entrer Dracula dans la légende. Dans le roman, le comte Dracula est un vampire de 500 ans, qui s'exile de Transylvanie à l'étranger, en quête de sang frais. Emportant des caisses de sa terre natale où il doit se reposer la journée, Dracula décime l'équipage qui le transporte en Angleterre. Deux jeunes femmes, Lucy et Mina, deviennent ses victimes. Dracula tue Lucy, laquelle devient une horrible créature de la nuit, une morte vivante comme lui. Mais, alors que Dracula se prépare à s'attaquer à Mina, un scientifique croyant au surnaturel – le célèbre Dr. Abraham Van Helsing – détruit le vampire, libérant ainsi Mina de son emprise.
Avant de mourir en 1912, Stoker tenta à plusieurs reprises de voir son roman adapté au théâtre, notamment en proposant le rôle principal au grand acteur Sir Henry Irving, mais sans succès. Ce ne fut que neuf ans après sa mort que "Dracula" connu sa première apparition au cinéma, dans "La Mort de Dracula", film hongrois dont il ne reste plus aucune trace à ce jour. Bien que le nom de Dracula était inclu dans le titre, le film n'avait rien à voir avec le roman, présentant Dracula comme un professeur de musique ayant perdu sa tête, et qui convoitait certains des internés. Et ce fut l'année suivante que "Nosferatu" vit le jour.
Suite à ces deux adaptations au cinéma, "Dracula" fit l'objet d'adaptations théâtrales, d'abord menées par l'acteur et directeur de théâtre britannique Hamilton Deane, puis par un producteur new-yorkais, Horace Liveright, qui fit réécrire la pièce de théâtre pour la version Broadway de "Dracula". C'est là que Bela Lugosi fut recruté pour le rôle. Il était un expatrié hongrois qui avait fui la situation politique explosive de son pays et qui s'était retrouvé à la Nouvelle-Orléans sans parler un mot d'anglais. C'est pour son accent exotique, sa forte gestuelle et son air mystérieux et séducteur à la fois qu'il fut engagé, et il devient alors une idole auprès du public.
C'est là que Universal Pictures entra en jeu. Dès la création du studio par Carl Laemmle en 1915, l'une des premières oeuvres qu'il envisagea de porter à l'écran, à l'époque du film muet, fut "Dracula". Mais ce n'est que 16 ans plus tard que Universal produisit le film, car Laemmle n'était pas un fana des films d'horreurs. C'est son fils, Carl Laemmle Jr., qui se décidit à adapter "Dracula" à l'écran. Bien que sa première volonté pour le rôle titre était Lon Chaney, un acteur qui avait déjà fait ses preuves dans "Notre-Dame de Paris" et "London after Midnight" mais qui mourru brusquement, il finit par faire appel à Bela Lugosi. Le tournage pouvait commencer...
Le personnage de Dracula a beaucoup de symbolique et un caractère bien particulier, qui a été modifié à toutes les sauces dans les adaptations cinématographiques. Bram Stoker le décrivait comme un homme décrépit qui rajeunissait en s'abreuvant de sang. Mais la chevauchée hollywoodienne de "Dracula" mena le personnage vers une toute autre direction, plus romantique, voire même sexuelle. Le sex-appeal du personnage joue un rôle très important dans le scénario du film. D'ailleurs, le producteur voulait que Dracula ne s'attaque qu'à des femmes, pour éviter toute pensée homosexuelle. Dracula a beau être un être abominable, capable de se changer en chauve-souris ou en loup, il a cependant un don de séduction ennivrant et dangereux auprès des femmes. Il est un parfait monstre, qui ne peut survivre qu'en parasitant les autres.
Il est peut-être difficile de croire aujourd'hui comment les spectateurs ont-ils pu avoir peur en regardant "Dracula", tant le film a pris un coup de vieux depuis. Mais, à l'époque, peu de gens étaient habitués à voir des phénomènes surnaturels sans explication scientifique à l'écran. Dracula est un personnage cauchemardesque qui hantait et fascinait à la fois l'esprit des spectateurs, et qui continue à le faire, sans quoi on ne verrait plus de films de vampires au cinéma de nos jours.
De plus, "Dracula" contenait tous les éléments que les gens associent avec les films d'épouvantes: les longues capes, le délabrement, les bâtiments gothiques imposants, les toiles d'araignées, les chauves souris, les dents pointues comme des crocs... Le tout créait une étrange atmosphère décadente qui faisait frémir le public. Cependant, le film n'a pas bénéficié du budget nécessaire que pour adapter l'entièreté du roman de Bram Stoker et pour développer plus les décors et les effets spéciaux du film.
Une bonne partie du succès de "Dracula" est également due au photographe allemand Karl Freund, qui innova dans le domaine du travelling à la fin des années 20 en Allemange. Les effets de travelling, comme ceux se rapprochant des cercueils de Dracula et de ses trois épouses par exemple, témoignent de ce sentiment de terreur comme quoi les spectateurs avancent contre leur gré. A cela, le réalisateur Tod Browning décida de n'ajouter aucun son pour les scènes de suspense, afin de renforcer cette ambiance terrifiante auprès des spectateurs.
Autre chose fort mémorable, "Dracula" est le premier film d'horreur parlant à ce jour. Carla Laemmle, la nièce de Carl Laemmle, eut d'ailleurs l'honneur de dire les premières paroles du film, même si son rôle se résume à la scène d'ouverture, où elle incarne cette femme lisant une phrase dans un livre touristique: "Sur les cimes escarpées surmontant le col de Borgo, se dressent les ruines de châteaux du temps jadis". Le film ne contient pourtant pas énormément de dialogues et n'avait pas de réelle musique pour l'accompagner, si ce n'est l'Acte 2 du Lac des Cygnes de Tchaïkovski accompagnant le générique. A l'époque, étant donné que le son était une récente innovation, l'on croyait que l'audience n'accepterait pas d'entendre une musique dans une scène s'il n'y avait pas quelque chose dans l'image justifiant la présence d'une musique. Plus récemment, en 1999, le compositeur Philip Glass réalisa un thème pour le film, moins marquant que le Lac des Cygnes, mais désormais présent dans les DVDs.
S'il y a bien une réplique qui est restée célèbre dans le film, c'est bien celle lancée par le comte Dracula à un moment donné, dans son château délabré: "Listen to them. Children of the night. What music they make" (en français: "Ecoutez les. Enfants de la nuit. Quelle musique ils font"). La réplique est classée numéro 83 dans la liste des 100 répliques les plus mémorables du cinéma.
A l'époque, toujours dans l'optique du cinéma parlé et le doublage n'existant pas encore, il arrivait qu'un film soit tourné une seconde fois dans une langue étrangère. "Dracula" fut l'un d'entre eux, répondant à la demande des Espagnols et Mexicains qui voulait voir les films en espagnol et non en anglais. Tous les jours, dans les set de tournage de "Dracula", l'équipe américaine filmait les scènes du "Dracula" américain le matin, tandis qu'une équipe espagnole venait tourner exactement le même film avec les mêmes décors le soir. Le "Dracula" espagnol fut réalisé par George Melford, produit par Paul Kohner, avec Lupita Tovar et Carlos Villarias dans le rôle de Dracula.
D'aucuns disent que la version espagnole est meilleure, étant donné que l'équipe, après avoir vu le tournage américain au matin, se décidaient de faire mieux pour leur tournage en langue espagnole, en utilisant des effets spéciaux différents ou, tout simplement, en plaçant et en déplaçant la caméra différemment. Il est probable que la version espagnole est plus agréable à regarder que le film avec Lugosi, mais la version américaine de "Dracula" est bel et bien l'originale, de même que, des deux films, elle a le meilleur acteur.
Même si Bela Lugosi n'a pas le meilleur physique pour incarner Dracula, il a de loin un jeu d'acteur puissant, avec des gestes et surtout une façon de parler mémorables, que les jeunes s'amusaient volontiers à immiter. Lugosi a, en quelques sortes, défini l'apparence supposée du vampire. Un autre acteur mémorable de "Dracula" est Dwight Frye, dans le rôle de l'infortuné M. Renfield, homme très poli et gentleman accompli se rendant pour affaires au château de Dracula en Transylvannie au début du film, et qui fini par devenir le serviteur fou de Dracula, condamné à manger des araignées et à avoir des tendances vampiresques par moments.
Finalement, le film s'achevait à l'époque par un discour lancé par l'acteur Edward Van Sloan, qui incarnait le docteur Van Helsing, à l'assemblée. Similairement au prologue de Frankenstein avant lui, ce discour rajoutait une couche de terreur auprès des spectateur. Ce discour fut cependant enlevé en 1936 et est désormais supposé perdu. Voilà ce que le professeur Van Helsing disait dans ce discour:
"Un mot avant que vous ne partiez. Nous espérons que le souvnir de Dracula ne vous fera pas cauchemarder, ainsi aimerais-je vous rassurer. Lorsque vous rentrerez ce soir, dans le noir, et que vous aurez peur de regarder derrière les rideaux et de voir surgir un visage à la fenêtre, ressaisissez-vous et rappelez-vous que, après tout, les vampires existent!"
(rédigé le 22 juin 2012)