Honk-Kong, 2007. Alors que le salaire moyen stagne, les prix de l'immobilier explosent. Les promoteurs se frottent les mains, les mecs en costards cravates se bourrent la gueule et s'en foutent, mais Cheng Lai-Sheung est prête à tout pour acheter l'appartement de ses rêves dans Victoria Bay.
C'est sur ce curieux scénario que Pang Ho-Cheung nous livre son dernier métrage, renouant avec les films de catégorie III, disparus des productions hongkongaises depuis quelques années. Loin cependant de se limiter à un simple enchainement de scènes gore, « Dream Home » se construit sur deux récits : celui d'un slasher de facture plutôt classique et celui d'une chronique sociale désenchantée.
Antagonisme étrange que vient accentuer le découpage en flashbacks des différentes époques du passé de l'héroïne, faisant progressivement la lumière sur les raisons qui l'amènent à sombrer dans la folie.
Car Cheng Lai-Sheung est la victime d'un système ayant poussé l'individualisme à l'extrême. Employée de banque exploitée, elle passe ses journées au téléphone à proposer des crédits aux clients déjà endettés. Sa vie sentimentale n'est pas plus exaltante : elle la partage avec un homme marié, qui l'abandonnera au petit matin dans une chambre d'hôtel sans payer la note. Et on ne peut pas dire non plus qu'elle puisse compter sur sa famille, ayant à sa charge un père cancéreux qui enchaine clope sur clope.
Malgré ce postulat de départ qui laisse présager le pire, le film évite habilement l'écueil du misérabilisme facile en le contrebalançant par des transgressions meurtrières particulièrement jouissives. Puisque si la vie de Cheng Lai-Sheung est normalisée à l'extrême, les atrocités qu'elle va commettre ne pourront suivre une voie similaire, échappant crescendo à tout contrôle.
Elle s'aperçoit rapidement que tuer est plus complexe qu'il n'y parait et qu'en plus, ses victimes ne sont pas vraiment d'accord pour y passer. Loin de la décourager, ce nouvel élément semble même lui procurer un certain plaisir, le massacre devenant son défouloir ultime.
Contrainte d'improviser, tant dans le choix des armes que dans la façon de s'en servir, elle instaure dans cet immeuble huppé un joyeux bordel où elle laissera libre court à sa funeste créativité. « Dream Home » prend alors une tournure burlesque noire, très noire, à grands renforts de viscères à l'air, d'énucléation et autres charclages en règle.
Grâce à une réalisation radicalement graphique et prenant le parti du réalisme, le film ne sombre jamais dans le ridicule. On oscille alors entre jubilation face à l'impudence de Pang Ho-Cheung et répulsion pour des scènes qui testent les limites de notre endurance. Je vous laisse imaginer ce qui peut germer dans l'esprit d'une psychopathe ayant face à elle une femme enceinte et un aspirateur.
Cruelle et déterminée, Cheng Lai-Sheung n'est jamais décrite pour autant comme un monstre déshumanisé. Insistant sur sa fragilité – on regrettera d'ailleurs un traitement parfois lourd des tenants et aboutissants psychologiques – Pang Ho-Cheung parvient à nous faire ressentir une réelle empathie pour son personnage. Cette identification doit beaucoup à l'interprétation de Josie Ho, touchante dans son obsession, capable de passer en un regard de la détresse à la froideur brutale.
Perdue dans le cynisme ambiant de la mégalopole hongkongaise, rendue avec brio notamment par l'utilisation du tilt shift – cet effet devenu très in consistant à donner un rendu « maquette » à des décors réels – Cheng Lai-Sheung ne fait finalement que s'adapter de manière jusqu'au-boutiste à une logique libérale régit par la loi du plus fort.
Si les imperfections de « Dream Home » ne permettent pas de nous faire éprouver pleinement ce nihilisme destructeur, le film pêchant par quelques redondances scénaristiques, il n'en reste pas moins qu'il porte un regard ironique et malin sur notre société, ce qui est loin d'être désagréable par les temps qui courent.