Après Asako I&II, Drive My Car est le nouveau Ryusuke Hamaguchi. Récompensé à Cannes avec le Prix du scénario, il sort dans les salles françaises le 18 aout 2021. Pour moi, l’occasion d’embarquer dans un long voyage de trois heures.

Alors qu’il n’arrive toujours pas à se remettre d’un drame personnel, Yusuke Kafuku, acteur et metteur en scène de théâtre, accepte de monter Oncle Vania dans un festival, à Hiroshima. Il y fait la connaissance de Misaki, une jeune femme réservée qu’on lui a assignée comme chauffeuse. Au fil des trajets, la sincérité croissante de leurs échanges les oblige à faire face à leur passé.

Ici, quelques plans sont de pure beauté, naturel. Notamment toute la séquence à l’usine de déchet, du contracteur jusqu’à la baie et les escaliers. La photographie est contemplative. Sans jamais être déprimant, le film aborde des thématiques terribles : le sentiment de ne pas trouver sa place, le deuil. Ici, il est question de savoir comment faire face à un deuil. Sans mélodrame, ni excès, cette thématique se retrouve à travers deux individus, avec deux parcours similaires mais profondément différents. Pendant une hasardeuse rencontre, ils vont ensemble, partir dans un vrai voyage initiatique.

Ici, la voiture est la personnification de son propre habitacle, de la propre intimité de notre metteur en scène. C’est notamment pour cela qu’il ressent une peur à ouvrir son habitacle à une chauffeuse. La voiture est par conséquent un lieu-pivot où Kafuku aura le choix de soit continuer à tenir le volant en écoutant seul, les enregistrements de sa femme décédée, ou bien de se laisser conduire et de partager le voyage. Communiquer pour mieux se décharger de ce poids devenu trop lourd, pour réussir à se pardonner. Le film est bouleversant car il montre à quel point la parole est libératrice.

Ici, nous connaissons un casting multiculturel. En effet, s’entremêlent dans les dialogues, du japonais, du coréen, de l’anglais, du mandarin, ou encore la langue des signes. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce multilinguisme se sert des différences linguistiques de chacun pour aller au-delà des mots, et faire transparaitre des émotions autres. On nous montre à quel point, malgré des langues différentes, nous connaissons des émotions, souvent communes qui passent autrement que par la parole. Et paradoxalement, « le silence est d’or ». De nombreuses scènes sont sans bruit, et je pense notamment à celle où Hamaguchi coupe littéralement le son durant une interminable minute dans un point culminant, sur la route en direction de l’ile de d’Hokkaido, là où la mère de Misaki est décédée. Ce silence d’or est le plus démonstratif avec la langue des signes, et son personnage Lee Yoon-A, muette où son interprétation m’a profondément touché. Dans un film sur la parole, elle montre que le silence et les signes sont parfois plus communicatifs.

Drive My Car mérite son prix du scénario à Cannes. Effectivement, le film prend son temps pour développer et narrer son histoire et ses personnages. Le parallèle entre l’histoire de nos deux personnages résonne à travers la pièce Oncle Vania, jouée tant lors des répétitions qu’avec la cassette dans la voiture. La voiture rouge qui d’ailleurs ressort par rapport aux autres décors plus sobre, plus sales, moins vif. Ce contraste me fait peut-être à tort, penser au fait qu’Hamaguchi a voulu identifier et faire ressortir la voiture comme étant le lieu où se résoudront les problèmes liés aux deuils de Kafuku et Misaki. Drive My Car est finalement une thérapie, un chemin vers la grâce entreprit par nos deux protagonistes principaux.

Drive My Car est complexe, très détaillé et posé. Les silences apportent la guérison, et celui-ci hante le spectateur après son visionnage, le laissant dans l’incertitude. La scène d’épilogue très énigmatique. Elle interroge du fait de voir Misaki en Corée du Sud, avec la même marque de voiture (plaque d’immatriculation différente), prendre un chien identique à celui vu auparavant. Elle s’est fait retirer sa cicatrice à la joue. Quelle interprétation ? Son voyage vers le Sud se poursuit, venant de l’ile d’Hokkaido, elle s’est arrêtée à Hiroshima, et la voilà aujourd’hui en pleine période Covid en Corée du Sud. Le chemin est long, mais à la fin,* « nous nous reposerons ».*

Drive My Car est en somme un film durant effectivement trois heures qui peut repousser certains non initiés, mais qui n’en reste pas moins une réelle pépite de cette année 2021. Profondément humain, Drive My Car brille par sa théâtralité, mais également sur son approche de l’amour, du deuil et de la famille. Enfin, deux mots pour saluer la soundtrack d’Eiko Ishibashi avec le titre Drive My Car (Kafuku) qui fut d’une telle puissance émotionnelle. Seuls ceux qui ont vécu la scène en question peuvent connaître et ressentir cette sensation !

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Piast_Fidra
8
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le 28 sept. 2021

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