L'ange dé(voyeur)
Le beau film de Simon Bouisson fait le portrait d’une jeune femme fragile : socialement isolé, économiquement précaire, sentimentalement à la dérive. Lors d’une rare confidence faîte à sa nouvelle...
le 23 sept. 2024
5 j'aime
2
Drone est un thriller macabre, aux allures véristes, malaisant pour autant. Simon Bouisson nous offre une première réalisation riche en promesses, à la fois dérangeante et captivante.
Nous sommes embarqué dans la vie d'Emilie, pauvre (mais brillante) étudiante architecte usant de quelques moments charnels virtuels pour subvenir à ces besoins matériels (et certainement pas sexuel puisqu'elle n'y prend aucun plaisir). Comme une bonne partie de ses consoeurs me direz-vous. Ces mêmes scènes sont donc assez perturbantes dans l'ensemble.
D'ailleurs, Émilie est à la fois une figure complexe et distante. Bien que son parcours soit le fil conducteur du film, il est difficile de s’y ancrer émotionnellement. Sa timidité et son comportement souvent perplexe la rende moins accessible, laissant place à une forme de frustration chez le spectateur. A t-elle peur ? Mais de quoi ?
Paradoxalement, Emilie a l'âme d'une aventurière: le noir, les grands bâtiments en ruine en pleine forêt, les runs à l'obscure. Son audace l'a rend particulièrement remarquable dans son travail aussi, avec le choix d'un projet ambitieux. Emilie n'hésite pas à sortir des sentiers battus au risque de tout perdre.
Cette distance est renforcée par la manière dont elle est filmée : son corps est souvent exposé dans des moments de vulnérabilité, mais cela soulève des questions sur la représentation de la féminité et la manière dont elle est perçue dans notre société. La nudité, loin d’être gratuite, devient un outil de critique sociale, mettant en lumière le regard masculin et les attentes qui pèsent sur les femmes. Je cite " pourquoi nous on doit toujours être parfaite et vous non", mention à cette rhétorique rageante, mais quand tout pousse dans une même direction, on l'accepte, résignée, agacée, meurtrie.
Après avoir découvert qu'un drone l'a suivait, Emilie ne semble pas tant s'alarmer. Au départ protecteur en lui évitant un viol de la part de son camarade haïssable au possible. Ce vilain engin est loin d'être l'allié que l'on s'imagine, il permet, dans la forme, un voyeurisme omniprésent ne laissant pas une intimité de répit à sa cible, d'autant quand il s'attaque à son amour, passionnel ET saphique (ironie du sort ?).
Un mot sur la mise en scène composée essentiellement de prises de vue acrobatiques et spectaculaires réalisées grâce à des drones (sans que cette virtuosité soit critiquable, puisqu’elle est raccord avec le sujet du film). Le tout dans un milieu d'architecture, ce qui crée un contexte esthétique fort, et contribue pleinement à l’inscription d’un sujet « d’anticipation » au sein de la réalité urbaine parisienne.
Enfin, Marion Barbeau, qui n’est pas (encore) une actrice, à ma grande surprise, mais une grande danseuse : cela permet de privilégier l’impact physique des mouvements de poursuite, de traque, de chasse, et de contrebalancer l’aspect très mental du thriller. Marion impose au spectateur une remarquable « présence » à l’image, frappante dans les dernières scènes du film où il est question de sa vie ou de celle du drone.
Les enjeux sont donc majeurs: l'intelligence artificielle est une menace pour l'humanité et davantage pour les femmes. Intelligence conçu par et pour les hommes en considérant le corps des femmes comme de simples objets de désirs, d'attention, de fantasme.
Nous nous retrouvons face à une réalité déchirante: la perversion du regard n'est pas un leurre. Combien serait prêt à s'en procurer les "joies" ?
En somme, « Drone » est une réflexion profonde sur le voyeurisme et la place des femmes dans une société dominée par les images. Bien qu'Émilie puisse sembler lointaine, son histoire, portée par une mise en scène audacieuse, invite à une réflexion sur l'intimité et la perception de soi à l'ère numérique. Pessimiste mortifère en la matière, ce film pourrait bien être prédictif.
Le "not all men" demeure une illusion. Mais alors, vers où allons-nous ? Après Emilie, à qui le tour ?
Créée
le 9 oct. 2024
Critique lue 112 fois
1 j'aime
D'autres avis sur Drone
Le beau film de Simon Bouisson fait le portrait d’une jeune femme fragile : socialement isolé, économiquement précaire, sentimentalement à la dérive. Lors d’une rare confidence faîte à sa nouvelle...
le 23 sept. 2024
5 j'aime
2
Ayant découvert l'existence de ce film il y a seulement quelques jours via sa bande-annonce, j'ai voulu me laisser tenter par ce premier long-métrage de cinéma réalisé par Simon Bouisson (que j'avais...
le 3 oct. 2024
3 j'aime
« Drone », le premier film de Simon Bouisson, s'impose comme une œuvre audacieuse qui explore des thèmes contemporains avec une approche visuelle saisissante. Les plans aériens, réalisés grâce à des...
Par
le 27 sept. 2024
2 j'aime
Du même critique
Her reste un bon film. Un film sur la dématérialisation de la vie pratique et le contrôle de la pensée humaine par l'intelligence artificielle.Un film mémorable par son récit d'anticipation qui donne...
Par
le 12 janv. 2023
Outre le casting qui n'est pas seulement là pour attirer les foules, ce film est un petit bijou de cinéma plus ultra. Une divine narration, des dialogues désopilants, des scènes inoubliables et un...
Par
le 12 janv. 2023
Quelque peu marquant malgrè toutes les critiques qu'on peut lui reprocher.A commencer par le simple fait: 17 filles tombent enceinte les unes après les autres dans un même lycée (les réalisatrices...
Par
le 26 juin 2022