Drone
5.1
Drone

Film de Simon Bouisson (2024)

Le beau film de Simon Bouisson fait le portrait d’une jeune femme fragile : socialement isolé, économiquement précaire, sentimentalement à la dérive. Lors d’une rare confidence faîte à sa nouvelle amie, elle avoue que « souvent je me sens vide…comme si j’étais morte ».

On pourrait suggérer que cette vacuité existentielle, le réalisateur la traduit à l’écran sous la forme d’un site industriel en friche, qu’Emilie, étudiante en architecture, décide de réhabiliter dans le cadre d’un projet d’école. Ce bâtiment, aux dimensions imposantes, ouvert aux quatre vents, fiché en son centre d’une immense cheminée, se fonde sur des sous-sols sans fins à la profondeur abyssale, à l’image de la psyché dévastée d’Emilie. Architecture et psyché qu’il s’agit chacune, le temps du récit, de reconstruire, de réincarner.

Pour subsister Emilie s’exhibe, moyennant finance, sur un site érotique comme « camgirl ». Des hommes, derrière leur écran, se masturbent devant le corps dévoilé de la jeune femme, dont la moue permanente sur son visage, sans joie, exprime plus la lassitude et le dégoût que le plaisir. C’est dans l’un de ces moments qu’elle découvre à sa fenêtre, regard contre regard, ce drone silencieux, doté d’un œil-caméra, cyclopéen, qui va se présenter comme un compagnon attentionné, protecteur et secourable, du moins avant qu’il ne dévoile sa vraie nature.

En réalité, le drone l’observe depuis le début. Il plane dès le premier plan, substituant au regard du réalisateur sa propre vision du réel. A l’histoire qui nous est raconté un autre récit sous-jacent, invisible aux spectateurs, est à l’œuvre ; un récit de pur voyeurisme, un récit parmi des centaines d’autres, qu’un geek astucieux et opiniâtre révèle à la toute fin.

Ce drone n’est pas sans évoquer la figure de l’ange - qui apparait d’ailleurs dans le film sous la forme d’une statut au détour d’un couloir - telle qu’elle se donne dès l’origine du cinéma. Depuis les anges débonnaires et volontaires de Franck Capra aux anges mélancoliques et empathiques mais incapables d’agir de Wim Wenders, cette figure n’a cessé de se dégrader en même temps que l’on assistait au désenchantement du monde. Les anges de Simon Bouisson ne sont plus que des leurres, des agents économiques, monnayant les dernières ressources encore exploitables, celles de l’intime et de leurs mises en pâture. Les anges protecteurs sont désormais chasseurs. A cet égard, une séquence marquante. Il s’agit de la première, l’une des plus puissantes, durant laquelle nous suivons la jeune femme qui court le long d’un quai, sous une allée d’arbre. La caméra, qui se révèlera rétrospectivement être celle du drone, l’accompagne dans un long travelling ; puis elle quitte la joggeuse, virant brusquement pour s’élever vers les parois d’un haut immeuble d’habitation, s’attardant devant plusieurs baies vitrées où se déroule des scènes de vies domestiques. Le drone hésite, comme s’il recherchait son sujet. Il monte encore et retrouve, hasard ou intention, notre joggeuse Emilie dans son studio, sa nouvelle proie, qu’il ne lâchera plus.

A cette mise en lumière quasi pornographique de l’intime que propose le drone depuis la paroi transparente de la tour d’habitation (dont le format des baies épouse ironiquement le format de projection 16/9eme. ) s’oppose le parcours obscur et labyrinthique dans lequel progresse Emilie dans les sous-sols de cette usine abandonnée. En opposition aux vues aériennes du bâtiment désaffecté que lui transmet le drone, elle préfère cheminer à la lueur de son portable pour cartographier l’antre du bâtiment. Et ce sont dans ces sous-sols, dans une scène qui fait étrangement écho à la scène des miroirs dans La dame de Shanghai d’Orson Welles, qu’elle piègera et terrassera le drone.

Admirateur de David Cronenberg, Simon Bouisson continue à sa manière, très personnelle et déjà bien affirmée, l’exploration du rapport de plus en plus vertigineux de l’humain à la technologie. Dès l’ouverture, le film s’installe dans une ambiguïté du regard, son dédoublement. Le regard du drone se substitue régulièrement à celui du cinéaste, sans que l’on puisse, comme dans une forme classique, le qualifier de regard subjectif. C’est un regard, au contraire, sans affect. Un regard, peut-être ... non humain. Mais le film ne nous en dit pas plus. Par contre, il nous dévoile les dindons de la farce, les regardeurs, ces humains pitoyables pris comme des lapins dans les phares de leur propre tragédie. Et le réalisateur ne s’épargne guère puisqu’il apparait lui-même dans la masse des voyeurs s’interrogeant, in fine, en nous prenant à témoin, sur sa possible complicité. On lui saura gré de ses scrupules mais pour le disculper aussitôt, tant son point de vue semble toujours à la bonne distance.


Créée

il y a 2 heures

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