Johnny alité
Bon, d'accord, c'est un film culte. Pourquoi ? Parce que c'est le seul film de Dalton Trumbo ? On aime bien les films uniques. Parce que c'est l'adaptation d'un roman censuré ? Parce que c'est Dalton...
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le 4 avr. 2014
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Ce film, qui ne ressemble à nul autre, je le revois quelques décennies plus tard après m’y être longtemps refusé tant sa vision avait mis mes sens à vif.
Ça commence de manière tonitruante. Dès le générique des hommes en uniforme, tous jeunes, par millier, en rangs serrés, arme à l’épaule, marchent au pas, confiant chacun dans sa masse et sa puissance. Puis, sans transition, le champ de bataille… une explosion… écran noir… silence... Une absence de son et d’image qui dure. Puis, une faible lumière à laquelle le spectateur va devoir s’habituer pour écouter, le temps du film, le soliloque d’un homme emmuré littéralement dans son propre corps, du moins dans ce qu’il en reste. Un corps amputé sur un lit, caché aux spectateurs par une armature en arceau recouverte d’un drap.
Dalton Trumbo pose d’emblée son projet : se débarrasser très vite de l’action pour s’attacher à ses conséquences. Car la guerre n’est pas le sujet du film. Le sujet se situe après, lorsque la médecine militaire prend en charge le blessé et expérimente "mécaniquement", comme elle le ferait d’une machine de guerre, les limites du vivant, sa résistance. Quand peut-on dire qu’un corps est considéré comme « toujours » vivant ou « déjà » mort ?
Pour ce faire, le réalisateur adopte un double dispositif radical : d’un côté, le huis clos au présent, dans une chambre d’hôpital aux volets fermés, filmé en noir et blanc. Lieu dans lequel, hormis les visites d’une infirmière et plus rarement de quelques médecins, par la répétition des scènes, le temps semble s’être arrêté. La mise en scène est, ici, d’un dénuement absolu, ascétique ; la dimension carcérale du lieu est à l’image de l’enfermement corporel de Joe Bonham, notre anti-héros tragique. De l’autre, les échappées mentales de Joe, faites de souvenirs, de rêves et de délires…Filmées en couleurs, toutes ces séquences prennent une dimension baroque autant par la profusion des images que par leurs hétérogénéités.
Le montage en alternance de ces deux régimes d’images opposés, voire irréconciliables, exprime évidemment la rupture irrémédiable et absolu entre un corps qui n’assure plus que les fonctions vitales ( réduites elles-mêmes à leurs plus simples expressions ) et un esprit libre de toute entrave dans l’ordre de la mémoire et de l’imaginaire, mais condamné à ne produire que des images mentales. Tout semble fait pour que le spectateur, pris dans l'unicité du point de vue de Joe, n’a d’autres choix que de s’identifier à lui ; et c’est peut-être, là, les limites du dispositif et la faiblesse du film : une identification forcée.
Etrange expérience que l’épreuve du temps et des ruses de la mémoire… Ce film, je l’ai donc vu pour la première fois en avril 1980. De cette vision initiale, intense et traumatisante, je découvre à l’occasion de sa ressortie n’avoir conservé en mémoire que la partie noir et blanc, couvrant d’un voile épais la totalité des séquences couleurs. Comme si sa puissance tragique n'avait pu se maintenir dans le souvenir que par la suggestion d'un corps supplicié, dérobé à la vue. Une manière toute personnelle de redonner au film son unité plastique
Peut-être faut-il préciser que je l’ai vu le 19 avril 1980, jour des obsèques de Jean Paul Sartre. Je l’ai vu à l’Espace Gaité, cinéma aujourd’hui disparu. Venant de la rue du Montparnasse, j’ai dû couper à la perpendiculaire le boulevard Edgar Quinet, fendre la foule immense, qui déjà commençait à piétiner à l'approche de l’entrée du cimetière. A l’émotion palpable de cette foule compacte et silencieuse, de ces milliers de visages graves rassemblés en hommage au philosophe, vient se superposer dans ma mémoire la figure hors-champ de ce soldat inconnu ; sujet sans identité, privé de la liberté de mourir, qui doit désormais « vivre » dans sa chair l'expérience du néant.
Corentin Le Berre
Créée
le 14 oct. 2024
Critique lue 6 fois
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