Après Les graines du figuier sauvage, voici le deuxième film iranien récent qui met en question la maison comme refuge face aux régimes totalitaires, en l’occurrence celui des Mollahs. La maison qui nous est ici présentée est située dans les faubourgs de Téhéran. Cette maison est celle de Mahin, une femme âgée qui vit très mal sa solitude au point qu’elle en a perdu le sommeil. Son mari est mort il y a trente ans ; sa fille, mariée avec enfant, vit à l’étranger ; seules quelques amies lui rendent encore visites à l’occasion de repas bruyants et joyeux mais de plus en plus espacés dans le temps. Malgré ses difficultés physiques pour se déplacer, Mahin est déterminée à trouver l’âme-sœur. Pour cela elle arpente les parcs publics, les restaurants pour retraités. Mais la police et les voisins complaisants avec le régime exercent un contrôle assidu et permanent, garants des bonnes mœurs. Le seul espace de liberté, croit-elle, c’est la maison, l’unique lieu où la parole et les corps peuvent jouir encore de leur plénitude. Lorsque Mahin trouve enfin le compagnon pour vivre son idylle, elle n’aura d’autre fin que de l’amener dans son refuge en ayant bien pris soin d’en fermer la porte. A cette maison vient se greffer le jardin, extension de cet havre de paix, édénique, où l’on retrouve enfin la lumière, les senteurs des herbes aromatiques et le goût du vin… une agape. Et l’idylle aura bien lieu mais elle sera de courte durée. Faramarz, le compagnon, confronté à une aussi grande solitude que celle de Mahin, vit ce moment d’extase avec une telle intensité, « le plus beau moment de ma vie » dit-il, qu’il en mourra subitement. Dès lors, la situation se retourne, la maison devient un piège. Car comment justifier la présence du défunt dans une tenue légère, étendue sur le lit d’une veuve, sans pouvoir justifier d’un lien de parenté ? Ne reste plus à Mahin, comme le ferait une criminelle, de faire disparaitre le corps en l’enterrant dans le jardin.

Ce retournement de situation (et de genre : de la comédie romantique à la tragédie) est annoncé par un mouvement de caméra particulier. Alors que Mahin, hors champs, découvre le corps sans vie de Faramarz dans la chambre, la caméra, elle, s’attarde dans l’espace principal de la maison en opérant lentement un tour à 360 degrés. Elle balaye délicatement les différents espaces fonctionnels qui la composent. Comme si ces espaces si familiers, si intimes, si chaleureux, ces espaces de tous les possibles (jusqu’aux plus transgressifs) allaient disparaitre soudainement submergés, comme une digue qui rompt, par la tragédie collective d’un peuple empêché, jusque-là contenue au seuil de la demeure.

Dans Les graines du figuier sauvage c’était le père lui-même qui ouvrait la porte de la maison à l’idéologie morbide du régime islamiste. Plus que le propagandiste zélé, il en était le bras armée, faisant régner la terreur dans sa propre famille. Combien nous parait loin le temps où Jafar Panahi, autre cinéaste entravé, pouvait avec sa petite caméra tenir modestement salon dans un taxi. Désormais, plus aucun refuge pour les petites utopies. Cela nous en dit long sur le pessimisme et le désespoir qui rongent la société civile iranienne.



Créée

le 9 févr. 2025

Critique lue 20 fois

Critique lue 20 fois

D'autres avis sur Mon gâteau préféré

Mon gâteau préféré
Cinephile-doux
7

Jouissance d'automne

Les coréalisateurs de Mon gâteau préféré, Maryam Moqadam et son mari Behtash Sanaeeha n'ont plus la liberté de quitter l'Iran et leur situation risque peu d'aller dans le bon sens, plus leur film...

le 3 juil. 2024

8 j'aime

Mon gâteau préféré
Sergent_Pepper
7

Fin de vie, liberté

Les OuLipiens l’avait déjà expliqué : la contrainte émancipe l’imaginaire. Lorsque Perec s’interdit l’usage de la lettre e dans La Disparition, où qu’il détermine par un cahier des charges le contenu...

le 18 févr. 2025

7 j'aime

Mon gâteau préféré
LaRouteDuCinema
4

Quand la photo est floue

J'aurais aimé adorer ce film pour de multiples raisons. Il est iranien et les films iraniens m'ont rarement déçue depuis des années. Il s'agit bel et bien d'une comédie, romantique qui plus est, ce...

le 12 oct. 2024

6 j'aime

4

Du même critique

Mon gâteau préféré
Corentin-Le-Berre
6

La maison de mon amie

Après Les graines du figuier sauvage, voici le deuxième film iranien récent qui met en question la maison comme refuge face aux régimes totalitaires, en l’occurrence celui des Mollahs. La maison qui...

le 9 févr. 2025

Trois Amies
Corentin-Le-Berre
8

Le souffle coupé

Dès les premières minutes du film, lors d’un échange entre les trois personnages féminins, l’une d’elles tient à préciser qu’il ne s’agit pas ici d’amour mais de sentiments. Cette mise au point...

le 15 nov. 2024

Johnny s'en va-t-en guerre
Corentin-Le-Berre
7

Le pauvre hère et le néant

Ce film, qui ne ressemble à nul autre, je le revois quelques décennies plus tard après m’y être longtemps refusé tant sa vision avait mis mes sens à vif.Ça commence de manière tonitruante. Dès le...

le 14 oct. 2024