Deux ans seulement après Kursk, son film de sous-marin, Thomas Vinterberg retrouve avec Drunk l’aventure de groupe initiée par Festen et La Communauté. Un retour gagnant pour un film aussi enthousiasmant que désespéré, confirmant ainsi le retour au premier plan du cinéaste danois.


Renaissance


Un film qui débute dans l’allégresse de la jeunesse. Des corps adolescents déambulent autour d’un lac, l’alcool coule à flots, le vomi aussi. Un jeu stupide auquel les participants prennent un plaisir enfantin à participer. Une course de l’alcool, de la joie… Puis une coupure nette laissant apparaître le générique. Le ton est déjà donné. Une séquence introductive annonciatrice de la trajectoire du long-métrage.


Nous avions laissé Thomas Vinterberg bien timoré depuis 2015, enchaînant trois films moyens, parfois plaisants, souvent anecdotiques et loin des standards habituels du cinéaste danois. Ni son remake classieux de Loin de la foule déchaînée (2015), ni son aventure de groupe La Communauté (2016), ni son drame historique de sous-marin Kursk (2018) n’avaient su atteindre le niveau d’excellence d’un Festen ou de La Chasse. Avec Drunk, il retrouve une fougue revigorante. Son meilleur film depuis cinq ans.


Pour renouer avec la fureur de ses films réussis, il fallait un sujet original, un sujet fort. Drunk remplit parfaitement ces cases-là. Quatre amis décident de mettre en pratique la théorie d’un psychologue norvégien selon laquelle l’homme aurait dès la naissance un déficit d’alcool dans le sang. Avec une rigueur scientifique, chacun relève le défi en aspirant à une vie meilleure… Thomas Vinterberg prend le contre-pied de films comme Le Poison de Billy Wilder, l’Ange Ivre d’Akira Kurosawa ou encore plus récemment Crazy Heart de Scott Cooper. Leurs approches profondément tragiques trouvent ici un contrepoint amusant, presque léger. La comédie n’est jamais loin, le drame non plus. Un hybride profond, drôle et poignant.


Enivrante euphorie


Drunk est un hymne à l’ébriété, à la joie et à l’incalculable légèreté de l’être. Avec ce sujet à l’angle diablement singulier, le cinéaste danois affine sa démarche résolument optimiste malgré la violence de certains rebondissements. Il profite de faire de cette aventure de groupe, ce « film de bande », un élan de vie débordant. Cette thérapie permet aux personnages de reprendre petit à petit goût à la vie. Son humour, simple, parfois prévisible, fait souvent mouche. L’alcool devient source d’une libération cathartique pour ses personnages. Ils retrouvent le goût de la folie, de l’innocence, la joie de la bêtise. Une euphorie communicatrice avec les spectateurs tant les séquences qui jalonnent la première partie du film sont savoureuses par leur comique de situation.


Drunk est aussi un cri du cœur contre le puritanisme. On peut penser qu’il est difficile de tenir un tel discours aujourd’hui, avec le ton tragi-comique. Vinterberg s’en sort avec habileté, en posant un regard bienveillant sur ses personnages et en faisant preuve d’un humour pertinent. C’est aussi un film qui balaye d’un revers de main l’hypocrisie générale dans un monde où la consommation d’alcool est très élevée dans le monde. Il va même jusqu’à s’octroyer une petite satire politique : une courte séquence délicieuse où l’on voit de grands chefs d’Etats, à l’image de Nicolas Sarkozy ou Bill Clinton, lors de sommets politiques dans la plus belle des ivresses. Des images célèbres qui accentuent le propos. Le long-métrage colle à la réalité crue et morne qui habite la plupart des sociétés. Il le dit lui-même : attention à la gueule de bois.


La gueule de bois


Cependant, Vinterberg le sait, il ne pouvait pas éluder les effets néfastes qu'engendre l’alcool. Lorsque l’on gratte un peu, Drunk se révèle comme un film faussement léger, profondément mélancolique et acerbe sur nos modes de vie. Le film agit comme une force tranquille, qui pourtant n’oublie pas de nous saisir par l’émotion. On y parle de dépression, de l’aliénation par le travail, de vies tristes qui oublient de vivre, d’aimer.


Des trajectoires de vies qui se suivent sur le visage magnétique de Mads Mikkelsen qui nous offre (encore) un rôle puissant, fort, interprété avec la précision qu’on connaît de cet acteur hors-pair. La suite du casting n’est pas en reste. C’est un film de groupe et Vinterberg est allé chercher des interprètes de talents pour donner de la réparti à Mikkelsen. De purs produits du cinéma de Vinterberg à l’image de Magnus Millang et du magnifique Thomas Bo Larsen.


Pour saisir ces tranches de vie abîmées en renaissance, le cinéaste danois a opté pour une mise en scène naturaliste d’une grande beauté. C’est parfois sec et précis, parfois doux et chaleureux. On se rapproche du cinéma vivant de John Cassavetes et sa joyeuse bande de maris délurés de Husbands. Des intentions esthétiques qui fonctionnent à merveille, avec ses lumières naturelles, qui arrivent à saisir dans le vif, l’ambiance particulière du nord de l’Europe.


Vous l’aurez compris, il n’en faut pas plus pour courir découvrir le nouveau film d’un cinéaste en renaissance, qui retrouve la pleine possession de ses moyens pour un résultat d’une beauté qui nous renverse d’ivresse et de mélancolie. Prêt pour la prochaine tournée ?


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le 2 oct. 2020

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