På din !
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La conscience humaine est un fardeau : elle éveille, questionne, et génère un cortège d’insatisfactions sur sa propre personne, au regard de ce qu’on pourrait obtenir, ce qu’on aurait pu faire ou le potentiel qu’on pourrait exploiter.
L’individu se retrouve ainsi déchiré entre la carcasse médiocre qu’il transporte au sein d’un quotidien frustrant, et les rêves de grandeur ou d’accomplissement que l’expérience semble s’acharner à décrépir.
Pour l’ambitieux, reste une tentation : un coup de pouce, un bonus. Le dopage pour l’athlète, la coke pour le trader, ces accélérateurs de talents qui, soyons en sûr, aident à être pleinement soi-même et font goûter la saveur enivrante du pouvoir à l’état pur.
Telle est la réflexion d’un quatuor de profs, déjà éreintés, dans un état aux rives dangereuses de la dépression, qui se sont pour la plupart mués en spectateurs d’une vie qui se joue sans eux : dans les classes, avec la jeunesse tonitruante des futurs bacheliers, dans leurs familles, où chacun semble avoir trouvé sa voie à l’extérieur, où dans un studio où le frigo fait office de meilleur ami.
Le coup de pouce se fera par l’idée aussi simple qu’absurde : se trouver dans un état d’ivresse constant, permettant d’insuffler à sa vie la joie et la désinhibition nécessaires à son amélioration.
Commence alors le cœur du récit, et un film qui va parvenir à entrer en symbiose totale avec son sujet. La renaissance du quatuor au fil de cette expérience potache fonctionne comme un bain de jouvence. La lucidité maline avec laquelle ils prêtent des propose ronflants et sociologiques à leur beuverie lui confère l’ambiguïté d’un contrôle, et ne génère que des conséquences positives. L’amitié, le rire, le grain de folie qui manquaient à ces existences ternes s’invitent progressivement à la danse, et emportent un spectateur qui ne peut que céder à l’euphorie généralisée.
Un temps suffisamment long pour que les personnages soient devenus des intimes, pour lesquels on prévoit, évidemment, autant qu’on crée, les dérapages à venir dans un processus pour lequel le concept même de contrôle est tué dans l’œuf. Là aussi, Vinterberg analyse avec brio cette bascule subtile entre l’accomplissement d’un individu légèrement enivré et le processus qui le conduit à vouloir dilater cet état sans prévoir que la consommation à venir le fera capituler face à l’ivresse.
Le chemin à venir est tout tracé, semé d’obstacles qui font trébucher et de chambranles qu’on se prend en pleine face. La démonstration est plus attendue, et la frustration probablement accentuée par le fait qu’on partage avec les personnages ce désir illusoire d’un contrôle continu dans un feel good movie qui n’aurait que l’amitié, la réussite collective et la réparation des erreurs passées à proposer. L’immaturité s’invite à la fête (on croit, un temps, retrouver la procession des éclopés conjugaux du Husbands de Cassavetes) et l’on anticipe davantage la gueule de bois à venir qu’on ne s’implique dans les excès éthyliques de la compagnie en roue libre. Le temps des conséquences occasionne quelques invariants d’écriture un peu trop mécaniques, et l’établissement d’une morale qu’on aurait souhaité moins assénée, mais qui a le bon goût de ne pas fonctionner comme une maxime finale.
Car, tout au long de cette tentative de renaissance, on aura suivi l’un des plus grands comédiens actuels, le minéral Mads Mikkelsen, le taiseux du groupe, et celui dont on mesure les signes d’éveil. Avec ses élèves, ses fils, son épouse, ses amis, l’alcool irrigue des terres autrefois arides, et dresse un tableau d’une confondante banalité qui peut, par un regard subtilement dilaté, receler les plus grandes beautés de la vie. Avant de risquer de tout perdre, faire face au sens. La concorde finale ne dit pas autre chose, réunissant les générations entre les adultes qui pensaient que tout était derrière eux, la jeunesse qui se projette dans l’inconnu, et la convivialité alcoolisée d’une confiance commune face à ce temps à multiples tranchants. Et la plus belle manifestation de l’ivresse de se faire dans le geste : Mads le sublime, Mads le héros transforme l’euphorie en poésie et danse l’espoir retrouvé : éphémère, esthétique, faisant de chaque obstacle le trépied vers le sublime.
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le 18 oct. 2020
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