Réalisateur incontournable du milieu underground New-yorkais depuis sa rencontre au mitan des années 60 avec Andy Warhol, le cinéaste Paul Morrissey se fit, au départ, connaitre par sa trilogie Flesh (1968), Trash (1970) et Heat (1972) avec l'égérie warholienne nommée Joe Dalessandro. L'année suivante, Morrissey rejoignait le vieux continent afin de réaliser, à l'origine, un seul long métrage produit par la paire Andrew Braunsberg / Carlo Ponti. La suite est désormais connue. D'un premier film, Flesh for Frankenstein, revisitant le mythe du Prométhée moderne créé de l'imaginaire de Mary Shelley, Paul Morrissey tournait dans la foulée, avec les mêmes acteurs principaux, Udo Kier, Joe Dallesandro et Arno Juerging, sa vision toute personnelle du vampirisme avec Blood for Dracula. Dont acte.
Édité en vidéo-cassette dans les années 80 par René Château dans sa collection Les Films que vous ne verrez jamais à la télévision, Blood for Dracula est, de prime abord, un curieux objet filmique. Ce neuvième long métrage réalisé par Paul Morrissey, qui signait également le scénario, lorgne autant du côté du film d'auteur que du pur produit d'exploitation, faisant de ce deuxième volet de son diptyque fantastique « déconstructiviste » un exemple type de film hybride.
Interprété par Udo Kier, qui perdit pour son rôle pas moins de dix kilos, le Dracula de Paul Morrissey s'écarte de l'usuel représentation du Prince des ténèbres. Dernier de sa lignée, le vampire n'est plus l'antéchrist immortel à la sexualité inassouvie mais une créature pathétique et vulnérable, cachant tant bien que mal sa nature moribonde, à l'image de la scène d'ouverture lorsque celui-ci se maquille et se teint les cheveux ou, plus violentes, quand Dracula est empoisonné par le sang impur de Saphiria (Dominique Darel) et Rubinia (Stefania Casini).
D'une histoire située au début des années 20, peu de temps après la révolution bolchévique, Blood for Dracula se démarque également par le souhait de Paul Morrissey d'enregistrer son récit, non sans malice, dans les bouleversements mondiaux de l'époque. Métaphore du "riche pourri de l'intérieur", pour reprendre les mots de Mario (Joe Dallesandro), le vampire doit faire face à l'opposition de ce socialiste et « travailleur » chez les Di Fiore, ce dernier personnifiant l'unique obstacle contre les desseins de Dracula, et les désirs des employeurs prêts à « vendre » l'une de leurs filles à un inconnu pour retrouver leur richesse disparue.
Satire tragicomique, Blood for Dracula joue, on l'aura compris, d'une mordante ironie avant de se diriger vers un final grand-guignolesque, avec ses hectolitres de sang versés et ses démembrements. D'un vampire rachitique agonisant, qui ne doit sa survie qu'à l'absorption de sang d'hypothétiques vierges à un domestique, qui, en attendant la révolution rouge, s'offre du bon temps avec deux des héritières Di Fiore, Paul Morrissey renverse les rôles et les codes sous la forme d'un jubilatoire jeu de massacre. Le domestique est un prédateur sexuel qui profite de la progéniture de la classe exploitante tandis que le vampire, autrefois corrupteur, est désormais voué à disparaitre dans un monde où il n'a plus raison d'exister.
Sans être exempt de défauts, au hasard la direction d'acteurs, Blood for Dracula bénéficie, en dépit de ses moyens limités, de la photographie soignée de Luigi Kuveiller (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, Les frissons de l'angoisse), et de la présence remarquée des réalisateurs Vittorio De Sica (le marquis) et Roman Polanski (un paysan dans une taverne).
http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2019/10/blood-for-dracula-paul-morrissey-1974.html