Après le succès de son premier film américain, le Point de non-retour, John Boorman ayant sympathisé avec sa vedette Lee Marvin, la réutilise pour ce drame d'aventure puissant et réaliste avec seulement 2 acteurs, 2 vedettes de poids dans leurs pays respectifs. En fait c'est grâce à Marvin si Boorman a pu monter ce film, car il était très emballé par le sujet, son appui fut essentiel dans la production ; le réalisateur et son équipe sont partis d'un petit synopsis, créant le film au fur et à mesure, en imaginant progressivement les différentes péripéties et l'évolution des situations. Le tournage a eu lieu durant 4 mois sur une petite île entre les Philippines et la Nouvelle-Guinée.
Le résultat est une grande réussite car il s'agit d'une fable où 2 hommes, 2 naufragés de la guerre du Pacifique incarnent leurs pays respectifs qui sont en guerre, leur antagonisme est inscrit dans l'Histoire contemporaine, et fatalement, ils doivent se détruire ou tout au moins se dominer l'un l'autre, étant à tour de rôle prisonnier, celui qui commande ou celui qui subit, et pourtant face à la nature sauvage, la guerre semble bien loin. Haine et mépris s'incarnent à travers ces 2 soldats échoués sur cet îlot minuscule, puis des sentiments moins hostiles se développent, un rapprochement pointe le nez, un statu-quo s'instaure : le Japonais et l'Américain unissent leurs efforts dans la construction d'un radeau, mais resteront-ils ennemis irréductibles ?
John Boorman développe cette dialectique avec un sens aigu de la narration ; son film est d'abord un film d'aventure avec suspense, astuces, surprises et retournements de situations au sein d'un décor idyllique avec une plage de sable fin, la jungle, la mer si bleue, l'exotisme rêvé... Mais cet environnement paradisiaque accuse le caractère dramatique et absurde de l'affrontement des 2 hommes égarés dans ce site enchanteur, tout pourrait être si simple et si beau, il faut donc que la nature humaine reprenne le dessus dans ses plus vils instincts, et après avoir répété la même rivalité et les mêmes travers de leurs pays ennemis, et au moment où ils pourraient fraterniser, ils s'aperçoivent qu'ils ne sont qu'au final les représentants de 2 nations en guerre, ils doivent se combattre...
Cette apologue de la fraternité des peuples est magnifiquement incarné par les 2 vedettes Marvin et Mifune, chacun parle dans sa langue maternelle, et d'ailleurs, même si c'était le second film américain de Toshiro Mifune après Grand Prix 2 ans avant, il ne parlait pratiquement pas un mot d'anglais, mais à la fin du tournage, il connaissait une douzaine des plus gros jurons américains que lui avait appris Lee Marvin. Un film captivant en forme de survival, et un film de guerre totalement atypique, centré sur l'humain, même s'il laisse une certaine amertume.