Avec son casting féminin renversant (Bulle Ogier, Juliet Berto, Nicole Garcia, Hermine Karagheuz), Duelle a été tourné en 76, la même année que Noroît avec lequel il forme un diptyque assez évident. Même inspiration mystique, même goût pour les légendes et les objets magiques (ici des sceptres élémentaires et une pierre qui donnerait le pouvoir infini), même désir de filmer la puissance féminine dans tous ses états. Le film débute par un récit d'enquête où une jeune employée d'hôtel, Lucie (l'hypnotique Hermine Karagheuz avec ses grands yeux sombres) est réquisitionné par une étrange femme brune (Ogier) qui lui demande de retrouver les traces d'un homme disparu. Plus l'enquête maladroite avance, et plus Lucie est menacée par une autre femme (Berto), tout aussi mystérieuse qui lui demande d'enquêter sur Ogier. Ces deux dames qui commandent aux autres sont donc rivales, et il va falloir tenter de les empêcher de prendre le contrôle du monde par leurs pouvoirs. On se retrouve ainsi à divaguer d'une entité à une autre, de l'ombre à la lumière, de la lune au soleil. Et entre toutes ces femmes, il y a le frère de Lucie, un homme du théâtre (Pierrot, joué par le trop rare Jean Babilée) qui est lui aussi manipulé par tout ce beau monde. Chez Rivette comme nulle part ailleurs, le charme de la rêverie, du jeu, tantôt comique ou tantôt tragique, (mais toujours assez léger dans son traitement) demeure le point essentiel de la dramaturgie. On ne compte plus dans ce film en particulier les séances de lutte psychique, de cache-cache, de chasse entre protagonistes, de changements de tons et de changements de colorimétrie. Le charme est là.


Ce charme terrible de toutes ces actrices qui ne cessent de changer de costumes à chaque scène, quitte à revêtir des robes délirantes. Ce charme de déclamer des phrases sans queue ni tête parfois (ou certaines très poétiques qui viennent de Victor Hugo comme "Le rêve est l'aquarium de la nuit"), ou d'être masquée par les notes d'un piano à cause du mixage... Ce charme de voyager dans Paris, dans ces lieux qui se prêtent très bien à l'ambiance magique du film (aquarium, jardins des plantes, serre, cabaret...). Ce charme du passage entre les mondes (que l'on retrouve bien sûr dans beaucoup de ses autres films). Tout cela fait que même un Rivette apparemment moins important que les autres demeure une expérience ultra plaisante et profondément intrigante, à condition d'en accepter les règles et le côté désuet. Particularité de ce film : un pianiste qui improvise en direct sur le plateau des musiques d'ambiance, comme si finalement, c'était bien le tournage du film qui était le plus important, ce moment où les mondes des possibles se croisent et où un musicien dans le fond du plan peut regarder les actrices en train de jouer, comme s'il cherchait à saisir leur émotion, avant d'enchaîner les accords suivants. Splendeur.

Narval
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le 28 juil. 2018

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Narval

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