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Dumb Money
6.2
Dumb Money

Film de Craig Gillespie (2023)

Sans vrais chats ni conscience de la bouse qu'est GameStop

Les investisseurs dans GameStop en 2020-2021 ont commis un acte de foi et ce film le souligne ; sans s'intéresser à la qualité de la société, il signale quand même son déclin, montre le peu de fréquentations des magasins. Par contre ce film omet de parler des fonds Hestia et Permit, entrés au capital longtemps avant et de leur attitude 'activiste' ; puis surtout il omet Ryan Cohen (fonds RC Venture – et CEO de GameStop depuis fin septembre soit quelques jours après la sortie de ce film) entré en 2019 comme le petit investisseur et gros redditeur connu sous le pseudo de Roar Kitty. Puis de façon générale il n'évoque rien de l'évolution de la société en elle-même, poids lourd qui malgré sa déchéance avait noué un partenariat avec Microsoft trois mois avant cette explosion boursière.

C'est un film pour le peuple, pour 'David contre Goliath' ; il affirme, fait réel à l'appui, que les petits peuvent prendre la main, tirer parti du capitalisme – par effraction et en sachant que les dés sont pipés (fonds renfloués – mais fonds Melvin tombé plus tard en faillite, comme quoi l'élastique 'des gros' aussi peut rompre), mais ils peuvent prendre leur part – et jouer les arbitres des marchés, en tuant un acteur et regonflant un autre. Cela évite de dire que le gâteau est pourri (le gâteau capitaliste ou le gâteau GameStop au ROCE inacceptable, c'est à voir) ; et aussi de considérer l'affaire dans son entièreté, avec ces mouvements préalables au capital ; aussi d'évoquer le rachat d'actions, qui dans des circonstances françaises serait vilipendé quoiqu'il arrive – dans les circonstances américaines, serait probablement ennuyeux (or ce film sur le plan de l'intrigue et de l'émotion est bon – et si The big short l'était peut-être, il avait cette sale manie de prétendre parler à notre intelligence tout en nous prenant [d'autant plus] manifestement pour des mal-comprenants naturels).

Cette histoire, c'est effectivement celle des petits (et des jeunes ou demi-jeunes, pas des boomers dont on moque tendrement l'incompréhension – tendrement d'autant qu'ils n'ont pas tort d'être prudents, même si c'est l'ignorance et la méfiance qui les guident) ; pas une opération capitalistique contrainte par un fonds ou des actionnaires historiques ; mais la voir par ce prisme c'est aller avec l'euphorie. Car on pourrait la raconter autrement ; on pourrait aussi parler de bulle avec tout l'inévitable envers négatif ; on pourrait montrer que la foule s'emballe, fait le jeu de grands capitalistes et pourrit celui d'autres – or on ne voit que des riches lésés versus des prolos gavés. On ne voit même pas les membres de l'entreprise GameStop ! Sinon deux employés – des petits, des anonymes, encore. On pourrait aussi suggérer le lancement d'une offre NFT (en début 2022 par GameStop) – que ce soit avec le même enthousiasme d'innovateur ou affranchi, ou de façon critique.

Mieux, on pourrait évoquer la bonne vieille réponse à ce genre d'envolées sur une société cotée 'compliquée' (ou d'une importance mineure pour le marché) : l'augmentation de capital, c'est-à-dire une dilution de chaque part de propriété détenue jusqu'ici – survenue dès avril 2021. Dumb Money ne remet jamais en cause la dimension romantique de l'investissement dans GameStop : or au départ, y aller c'est comme placer aujourd'hui son argent dans Xilam car on misait déjà sur cette société à un autre niveau ; car elle a un potentiel évident (mais en sommeil) et puis simplement car on aimait le produit (Les zinzins de l'espace) ; finalement, parce qu'on est un cinéphile croyant qu'une éventuelle accélération de l'animation française passera par là.

Dumb Money est du bon côté en affichant la réaction inéquitable de RobinHood (interdiction ponctuelle d'acheter le titre... mais pas de le vendre, alors que la pratique courante et équitable consiste à suspendre absolument la cotation) et en saluant le braquage populaire, par suite l'invitant à entrer sur un terrain où il a le droit et de l'intérêt à s'engager (encore que ce soit moins vrai pour les USA, où c'est une option connue, que pour le reste du monde, où cette possibilité sent le soufre). Mais si la posture est bonne, l'information est défaillante ; et avec Dumb Money, on ignore la réalité économique de GameStop – ce business alors en train de vivoter, n'ayant de perspectives que de s'éteindre doucement sans actualisation du modèle. S'il n'y avait ce décollage spéculatif puis la fronde avec ce qu'elle a de politique et de romanesque, ce serait toujours un investissement douteux – donc concrètement, ça l'est toujours, ou du moins (car le bilan s'est redressé) c'est encore fragile et spéculatif. D'ailleurs la comparaison avec Xilam est bien trop avantageuse (encore que sur le fond, une société en dépendance ne soit pas 'meilleure' qu'une société à la dérive – mais la production Xilam est autrement 'aimable' donc vendable sans recours à un influenceur exceptionnel) ; c'est plutôt de Casino/Carrefour qu'il faudrait rapprocher GameStop.

Or les fonds vadeurs, ou fonds vautours (ils sont présentés comme tels ici) sont comme les 'business angels' : des accélérateurs pour les affaires précaires ou demandeuses de capitaux. Les vautours s'en sont pris à une carcasse ; le peuple a décidé sa résurrection. D'ailleurs le film évite de dire que le peuple a sauvé une entreprise prise à la gorge – ça se dessine au départ puis la griserie des 'day traders' et de la lutte prend le dessus, l'objet se déplace. Il s'agit de montrer que le 'marché libre' n'est pas si libre... ou bien qu'il faut forcer de façon extraordinaire et coordonnée. Sauf qu'à ce titre la belle unanimité me paraît invraisemblable : à la fin, les deux lesbiennes ont remboursées leurs dettes ; probable qu'elles n'aient pas tant racheté que ça... ou soient de nouveau sorties, avant que GameStop redevienne une action sous-cotée [plus 'raisonnablement' désormais]. On voit d'ailleurs que l'infirmière persiste dans sa foi ; elle est toujours gagnante à ce jour, comme une investisseuse de long-terme qui a su être 'contrariante'... son engagement a un prix, un coût d'opportunité, car les sommets de janvier 2021 sont loin maintenant... et l'auraient plusieurs fois remboursée.

C'est le problème de ces 'holdeurs' sur des investissements spéculatifs ; ils se réjouissent de l’irrationalité quand elle va dans leur sens, mais ne prennent pas de gains – car ils se croient tellement malins ou invincibles. D'ailleurs le film élude ce problème, ce sont davantage les candides et les bourrins qui sortent (ou le souhaitent) – plutôt à raison car dans l'absolu il y a eu un gain énorme. Mais il reste binaire, comme son héros ; on ne parle de couper une partie de sa position qu'à trois minutes de la fin [or si un investissement fait x10, sortir 10% seulement de la position latente suffit à rester investi de façon 'gratuite' - sans trahir la cause ni le groupe]. De loin ça a l'air d'un détail ; mais c'est un angle mort de plus soulignant que le film n'invite pas à un investissement raisonné, mais veux croire au 'to the moon' et à la démocratisation ; or la seconde risque de servir à éponger les pertes de la première, avec des gens qui se sentiront lésés par le système, alors que c'est eux qui auront participé à une de ses excroissances.

https://zogarok.wordpress.com/2023/12/06/dumb-money/

Créée

le 5 déc. 2023

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Zogarok

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