Dune semble né d’un malentendu entre David Lynch et ses producteurs. D’un côté un réalisateur qui voulait que son film lui corresponde : de l’autre une production qui ne l’entendait pas ainsi. Savoir que le réalisateur a fini par renier son œuvre n’est pas une surprise : son univers n’apparaît que peu dans un film qui a très mal vieilli, trop marqué par les années 80 pendant lesquelles il a été tourné. Aujourd’hui, cet échec artistique conforte la série de romans Dune comme une saga littéraire inadaptable à l’écran, à laquelle aucun cinéaste n’est revenu se frotter depuis.
Tout à peu près sent l’échec dans Dune, comme si Lynch n’avait pas maîtrisé grand-chose de son projet et n’avait jamais pu aller au bout de ses idées. A commencer par le scénario, piètre transcription à l’écran d’une œuvre complète et complexe, pleine d’enjeux philosophiques et théologiques. Lynch n’en reprend que la surface de ces luttes de pouvoir, du mystère de l’Epice, de cette révélation que la voix peut être une arme redoutable.
Ses choix narratifs déçoivent, à commencer par ces voix off simplement inutiles et sensées traduire les pensées des personnages, le jeu des acteurs aurait largement suffit à les refléter. On sent par là que Lynch n’est pas à l’aise, qu’il n’est pas dans son univers et bafouille son cinéma. Les séquences s’enchaînent sans lien ni logique véritable, traduisant peut-être un montage hasardeux. C’est flagrant pendant les scènes romantiques ; on y sent qu’il ne s’agit pas là de son sujet de prédilection ; elles sont souvent niaises et seraient touchantes de naïveté, s’il n’y avait derrière la caméra le réalisateur d’Eraserhead. Pourtant, même ce que Lynch devrait maîtriser, comme le coté géopolitique de son scénario, se transforme en épreuve pour le spectateur.
Venant de lui, on attendait une mise en scène pleine de créativité et surtout de culot, mais il n’offre finalement que peu de choses à part peut-être de magnifiques costumes, en tout cas dans ce qu’ils ont de baroque. Car Dune joue des contrastes entre modernité et temps passé. Si Lynch propose des costumes traditionnels magnifiques, ceux qui traduisent une ère plus moderne sont déjà complètement dépassés et parfois ridicules. C’est là que le film pêche le plus, il n’est pas beau la plupart du temps : ces yeux bleus phosphorescents sont un échec ; le côté psychédélique est épuisant et les effets spéciaux, faits de maquettes très voyantes et d’un style trop marqué, ne traversent pas le temps comme Star Wars. On frise parfois le mauvais goût avec cet intérieur cuir en nid d’abeille d’une des navettes ; on frôle aussi le génie avec la chevauchée du ver qui retombe vite à plat, faute de panache. L’impression donnée est que David Lynch n’aurait pas eu le budget de ses ambitions.
En revanche, certains thèmes de prédilections, que Lynch partage avec Cronenberg, sont toujours bien présents. Les corps, leur aspect organique et leur intégrité traversent le film en trame de fond, laissant parfois ce léger goût de malaise, face à des créatures hideuses sorties d’un cerveau délicieusement dérangé. Lynch a toujours pris un malin plaisir à réveiller nos angoisses et nos cauchemars, nous mettant face à nous-mêmes, face à nos tabous, face à nos mensonges.
Visiblement il n’a pas réussi la même chose avec ses acteurs, qui constituaient pourtant une très belle distribution, qu’il s’agisse de Dean Stockwell (Paris, Texas), Patrick Stewart (X-Men) ou même de Sting, qu’on voit très peu et c’est tant mieux, puisqu’il démontre ici qu’il est bien meilleur chanteur qu’acteur. S’il y a par contre d’excellents seconds rôles, cela n’empêche pas les méchants d’être très médiocres, sans vices et tout en retenue, alors qu’on les voulait flamboyants et hors de contrôle.
La bande-originale n’oublie pas de l’être, flamboyante. Rien d’étonnant puisque le groupe Toto s’en est chargé, au détriment des oreilles du spectateur. Dès le générique, lorsqu’on voit apparaître le nom du groupe, on sent que le pire est à venir. En effet, cette musique est un cuisant échec, complètement aromatisée à la sauce 80 et devenue assourdissante tant elle est omniprésente du début à la fin. Seule échappatoire, les parties dont s’est chargé Brian Eno, où l’on sent l’artiste au travail, le génie à la création. On sait que beaucoup de films gagnent à avoir un thème musical identifiable, mais Dune n’a que ça : une musique thématique. Le film aurait gagné à inclure plus souvent une musique circonstancielle, reflet de l’action en cours.
Dune reste encore aujourd’hui une déception, un film qui ne semble pas à la hauteur de la folie de son géniteur, tout en manquant parfois de sobriété lors de la scène du test de douleur, beaucoup trop explicite. Soit David Lynch n’a pas fait les bons choix, soit on ne l’a pas laissé faire. On en vient presque à penser que, pour être réussi, Dune aurait dû être un blockbuster qui aurait encore plus penché vers l’heroïc fantasy que la science-fiction. Ce qu’on emporte avec soi après l’avoir vu, c’est l’impression de n’avoir vu qu’un story-board, un simple brouillon de l’immense film qu’aurait dû être Dune et qu’il ne sera jamais.