Eagle vs Shark
6.7
Eagle vs Shark

Film de Taika Waititi (2007)

Le grand public connait Taika Waititi pour avoir réalisé les gros blockbusters marvelliens Thor Ragnarok (2017) et Thor : Love and Thunder (2022). D’autres, comme moi, l’ont découvert quelques années avant avec l’excellent faux documentaire sur une collocation de vampires, What We Do In The Shadows (2014), sorti chez nous sous le titre Vampires en Toute Intimité et qui a donné lieu à une série en 2019 (5 saisons à l’heure où j’écris ces lignes). C’est devenu en quelques années une figure incontournable de Hollywood alternant productions chez Disney (il participe également à des séries telles que The Mandalorian) et plus petits films comme par exemple son Jojo Rabbit en 2019. Mais avant d’en arriver là, il a commencé tout petit, en Nouvelle-Zélande, en 2007, avec un petit film indépendant, une comédie romantique sortant des sentiers battus, intitulée Eagle vs Shark, dont le scénario a fait l’objet d’un atelier au Sundance Film Festival Director’s and Screenwriter en 2005. Alors qu’on se le dise tout de suite, Eagle vs Shark est un film spécial, qui risque de dérouter les amateurs de Waititi, mais dont on ressort avec cette agréable sensation d’avoir assisté à un divertissement qui sort du lot.


Oui, Eagle vs Shark est un film très étrange car tous les personnages ont un pet de travers. Ils sont tous barrés, ont soit un physique compliqué, soit un problème psychologique, souvent inadaptés socialement, pas du tout en adéquation avec le monde dans lequel ils évoluent. Du coup, le travail des acteurs est encore plus compliqué car il faut un certain talent pour interpréter ces personnages cassés, abimés, à l’ouest. Jemaine Clement est assez excellent en tordu qui veut prendre sa revanche sur un ancien caïd de l’école qui, 10 ans auparavant, le harcelait, le maltraitait. On prend un certain plaisir à le voir préparer son grand combat de vengeance, son entrainement improbable, sa façon de faire à côté de la plaque car, comme la plupart des choses dans sa vie, il ne gère pas cela très bien. Mais celle qui retient le plus l’attention, c’est clairement Loren Taylor, avec son sourire tordu, sa timidité et ses grands yeux innocents très expressifs. On ressent immédiatement son besoin d’être aimée, quitte à ce que ce soit par quelqu’un aussi à la marge qu’elle, quitte à ce que cette relation soit dépourvue (ou presque) de romantisme. Via cette relation entre les deux personnages centraux, Taika Waititi va aussi parler des relations familiales complexes qui vont la plupart du temps être traitées non pas par des mots mais par le langage corporel qui sera ici bien plus éloquent. On ressent immédiatement la gêne, les désaccords, les tensions alors que, au final, très peu de choses sont dites. La plupart des membres de cette famille sont soit inaptes socialement, soit handicapés physiquement. Doit-on y voir une métaphore sur la difficulté d’intégration sociale de ce genre de personnes (souvent considérés comme des loosers) dans notre société actuelle ? Peut-être. Mais une chose est sûre, c’est qu’à travers ce film, Waititi parle très bien des relations personnelles, de l’estime de soi et même de la découverte de soi.


La mise en scène de Waititi est simple mais appliquée, avec un très joli travail sur la musique. Il n’en fait jamais trop car il cherche à laisser vivre ses personnages dans le cadre. Ce sont eux qui font le film. L’humour est par contre très particulier, excentrique, fantaisiste, mais surtout pince-sans-rire, souvent provoqué par la gêne que génèrent (volontairement) certaines situations, certains des personnages au final tous plus maladroits les uns que les autres, et même parfois crétins. Mais Eagle vs Shark ne se moque jamais d’eux malgré les diverses occasions qui lui sont données de le faire. Les spectateurs sont invités à partager leur désespoir, leurs espérances, leurs défaites, plutôt que de rester en retrait et de rire de ce qu’ils sont. Notre « condescendance involontaire » qui aurait pu ressortir se met immédiatement en retrait pour nous laisser apprécier la simplicité de l’amour de Lily pour ce jeune homme un peu stupide, un peu lourdaud, et on se prend d’affectation pour eux. Même Jarrod, ridiculement antipathique, avec qui c’est bien plus compliqué en raison de ses actions égoïstes tout au long du film, finit par devenir attachant. Eagle vs Shark est un film gracieux et ringard, et ce mélange risque d’en laisser certains sur le bord de la route. Car comme dit plus haut, c’est un film assez étrange et il peut être assez déroutant, par ses personnages, par son humour, par son scénario parfois un peu brouillon. Dès le départ, on se demande dans quoi on s’embarque, et il va falloir faire l’effort d’accepter cette fantaisie particulière qui parcourt le film, ne serait-ce que par ses scènes animées en stop-motion qui, bien que paraissant un peu hors de propos au départ, prendront tout leur sens lors du final. Oui, on peut être cassé, tordu, bizarre, en dehors des clous, il n’empêche qu’on peut quand même trouver quelqu’un qui nous correspond, même si cette personne est toute aussi cassée, tordue, bizarre et en dehors des clous.


En trouvant son humour dans les travers de ses personnages et en s’assurant que le drame, la romance et la comédie restent tout le temps synchronisés, Taika Waititi signe un premier film singulier, certes un peu étrange, mais néanmoins très agréable.


Critique originale avec images et anecdotes : https://www.darksidereviews.com/film-eagle-vs-shark-de-taika-waititi-2007/

cherycok
7
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le 15 févr. 2024

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