L'autre film
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J'aime bien mettre les films à l'épreuve de la dialectique, les formuler sous des termes plus ou moins opposés, sous la forme d'une équation à résoudre, d'un entre-deux indicible qu'il faut pourtant exprimer. On voit ainsi très vite quels films — c'est encore plus le cas avec les documentaires — cherchent, contrairement à ceux qui témoignent, présentent des faits. Même s'il ne s'agit pas ici d'établir une hiérarchie, j'ai une préférence pour les premiers qui font le pas supplémentaire de se mettre en quête d'une forme mettant en jeu le problème dialectique.
Éclaireuses de Lydie Wisshaupt-Claudel, sous ses airs de simple présentation d'une école hors des cases pédagogiques existantes, finit par poser tout un tas de questions, au fil des discussions certes, mais avec la caméra aussi. Comment peut-on enseigner autrement, de manière plus inclusive et adaptée ? Si l'enfant, après être passé entre nos mains, rejoint finalement le cursus académique, nos efforts ont-ils servis à quelque chose, les a-t-on assez préparé ? Ou au contraire, l'ont-ils empêché de s'intégrer pleinement, tant les deux systèmes d'écoute et d'attention sont différents entre les deux écoles ? Qu'est-ce qui fait un bon élève à nos yeux, et qui pourtant devient mauvais pour d'autres ? Comment rompre avec ces systèmes d'oppression, sans que notre radicalité entâche la vie future de ces enfants ?
Il s'agit d'enseigner les rudiments à des personnes sans passé scolaire, ayant souvent fui les atrocités de leur pays, et ayant besoin d'un sas leur permettant d'être enfant avant de devenir élève. Ainsi, c'est un lieu dialectique que cherchent à créer Marie et Juliette, un espace où il est possible d'extérioriser les traumatismes inconscients, tout en les canalisant avec des jeux en commun, qui mettent en avant l'entraide communautaire au sein d'une classe. À la place de frapper son voisin, on se met sur le ring de boxe, on le salue et on se bat en respectant quelques règles rudimentaires sensées transformer ludiquement l'agressivité.
Plus le film se déploie, plus la caméra s'abaisse, se met au niveau des enfants, laisse le plan trop long nous questionner, se rapproche par gros plans comme pour se mettre dans leur tête, leur demander par murmures si cet espace porte ses fruits, s'il est capable de laisser la violence s'exprimer pour éviter le refoulement, tout en restant un safe space pour chacun. C'est une mise en scène qui laisse une place à la violence et ne cherche pas à la rendre plus douce, mais au contraire à trouver le moment où l'on a besoin ensuite d'être enlacé par des bras aimants. Et si c'était ça, enseigner autrement ? Et si c'était ça, comprendre autrement ? Aimer autrement ?
5,5.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Coup d'lacrimo, vision voilée, Notes sur un mouchoir de poche et Top 5 Découvertes - août⋅octobre 2022
Créée
le 30 déc. 2022
Critique lue 49 fois
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