Le générique initial apparaît, sagement écrit sur un cahier d’écolier, puis il ouvre sur une séance de travail individuel, durant laquelle les élèves peuvent venir chercher aide, soutien, explications auprès du maître, dont le bureau ne tarde pas à être pris d’assaut... Ne vous y trompez pas ! L’ école sera à la fois le cadre omniprésent, mais non l’objet principal, à la différence d’un « Être et avoir » (2002), centré sur les enjeux de la pédagogie. Loin des choix qui animaient le long-métrage très salué et récompensé de Nicolas Philibert, l’école, et plus spécifiquement la classe de Monsieur Bruno Franc, sont plutôt approchées ici comme contenants, espaces, conditions de possibilité de ce qui va y éclore. C’est de ces petites éclosions miraculeuses que Bruno Romy, le grand complice du binôme formé par les réalisateurs et acteurs Fiona Gordon et Dominique Abel, a voulu nous rendre témoins.
Après « Le Bar des Amants » (1998), ce troisième long-métrage en solo fait directement suite au précédent, également documentaire, « Quand j’avais 6 ans, j’ai tué un dragon » (2016), dans lequel Bruno Romy témoignait de la traversée, par sa fille, d’une leucémie. Lorsque Mika, après avoir vaincu le mal, confia à son père que ce qui lui avait le plus manqué durant ce combat était l’école, le réalisateur conçut aussitôt le projet de tenter de percevoir tout ce qui se joue, pour les enfants, dans ce creuset qu’est l’école, et cela bien au-delà de la matière scolaire elle-même. Avec, bien sûr, mais aussi au-delà, en deçà, à côté... Afin de pouvoir être le témoin de processus aussi infimes, intestins, il fallait se faire discret, pour ainsi dire invisible, d’où une immersion de plusieurs mois, et cette présence de micros dispersés dans la classe de Mika, chargés de recueillir jusqu’aux chuchotements...
Émerge de ce retour en classe, qui accorde une part égale à chacun des vingt-quatre élèves qui composent ce petit groupe humain, une construction en trois chapitres clairement distincts : I. Le groupe, II. Duos et trios, III. Solos. Ce zoom progressif vers l’individu permet de saisir une multitude d’aspects de ce kaléidoscope qu’est une classe, sans pour autant scinder artificiellement les thématiques. Ainsi, le premier chapitre se montre d’emblée attentif aux réactions individuelles au sein d’activités de groupe : une langue qui se tire et ondule en une lente convulsion, en accompagnement de l’effort fourni ; le désarroi des élèves peinant sur un devoir ; la gestion collective des conflits, arbitrée, sous l’œil du maître adepte des méthodes Freinet, par des élèves désignés ; l’approche d’une langue autre par le biais du chant ; les moments de lecture offerte par le maître et l’écoute si touchante, si réactive, des élèves...
Les chapitres suivants s’insinuent dans les interactions plus fines, captent les rires, les moments d’entraide, de plaisanterie, d’agacement devant l’incompréhension du camarade, de bricolage méditatif... La caméra abandonne alors son point de vue d’adulte et observe l’enfant en contre-plongée, devenant elle-même un plus petit, sauf lorsqu’elle ose de nouveau le surplomb, par exemple durant les récréations, alors que les enfants s’ébattent en contrebas, dans la cour, et s’adonnent à des jeux tantôt brusques, animés, tantôt doux et caressants, comme cette grappe de petites filles accrochées à leur souriante camarade, dont elles entreprennent avec application de tresser la chevelure. Dans ces moments de vie plus libre, le montage, de Bruno Romy également, peut parfois accélérer ou ralentir le rythme de défilement de l’image, créant soit un effet comique d’ancien film muet, soit un effet de danse un peu onirique, effets aussitôt escortés par la musique de Pierre David qui leur emboîte le pas.
Cette jolie auscultation d’une classe de fin de Primaire, aux alentours de Caen, se clôt sur une série d’entretiens isolant quelques figures enfantines, face caméra, et recueillant leurs réponses toujours surprenantes, inventives, drôles, décalées, à des questions inattendues : quel objet aimerais-tu être ? quel animal ? quel est ton dernier rêve ? comment t’imagines-tu en adulte ?...
On sait gré à la petite Mika, grâce aux combats qu’elle a menés et gagnés, d’avoir ensuite entraîné son papa dans son sillage jusque sur les bancs de l’école où, véritable Doisneau du Septième Art, il nous permet de ressaisir tout l’inchangé de l’enfance, toute sa fourmillante permanence, par-delà les modes et les pratiques pédagogiques.