Bien noble projet que celui de ces 2 réalisateurs de faire un film pour préserver la mémoire de la langue Haïda, une langue riche et complexe (comportant une vingtaine de sons n’existant pas en anglais) et aujourd’hui seulement parlée par une vingtaine de personnes. Dans le sillon d’un autre film Atanarjuat de Zacharias Kunuk (2002) sur les Inuits, Haig-Brown et Edenshaw poursuivent ainsi une des taches que le cinéma s’était assigné depuis ses débuts : la perpétuation et de la transmission des cultures.
L’histoire, basée une sur légende locale est simple. Au cours d’une réunion familiale, un jeune chef provoque la mort accidentelle de son neveu. Peu à peu la honte et le remord le transformeront en Gaagiixid ou homme-sauvage, figure iconique du folklore Haida.
Tourné en majorité avec des acteurs non-professionnels et avec une équipe composée en grande partie d’indigènes, avec la volonté de créer des emplois dans les réserves où a eu lieu le tournage (et où le chômage avoisinait les 70%), le film revendique clairement sa volonté de traduire le monde depuis le point de vue de ceux auxquels la parole n’est pas donnée (Edenshaw est lui-même Haida).
Le résultat est-il à la hauteur de l’intention ? A vrai dire on reste un peu sur sa faim.
Qu’on se le dise, on ne peut que saluer la reconstitution du mode de vie Haida avant l’implantation des colons, et la grande importance consacrée au geste du quotidien sous un aspect faussement documentaire dans la lignée d’un Flaherty ou d’un Epstein de l’époque Finnis Terrae, surtout avec un budget contraignant de 2 millions de dollars
Dommage cependant qu’à l’instant où l’on entre dans le domaine du surnaturel, le film pêche par certaines lourdeurs. Certes beaucoup d’élément sont marquant comme ce masque en feu qui ouvre et clôture le film, comme symbole de la disparition d’une culture, où les les paysage de l’archipel Haïda conférant le mystère des lieux. Mais les effets kitsch des scènes de la descente dans la folie du protagoniste, harcelé de visions, se mutilant avec un oursin et se muant peu à peu en démon, fait dangereusement pencher le film dans le mode sous-The Revenant, et ne parviennent pas à retranscrire l’esprit chamanique tant recherché.
Le principal intérêt d’un tel film serait l’interprétation du monde par les intéressés. La traduction en image de leur imaginaire. Or dans *Edge of the knife l*es ficelles utilisées sont trop communes pour avoir l’impression que ce but soit pleinement atteint.
Cependant ne pêchons pas par trop d’exigence. Edge of the knife fait partie de ses films nécessaires prouvant que le cinéma peut bel et bien être encore vecteurs de lien social et porteur des voix les moins audibles.
A vrai dire, peut-être que d’autres films du même genre permettraient de parfaire l’entreprise que ce modeste film aura entamé. Affaire à suivre.