Course en scène
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le 14 janv. 2019
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Le cinéma français est une curiosité difficile à appréhender, noyée dans les comédies faciles ou les drames dépressifs, en tout cas dans un terre-à-terre qui ne fait pas franchement rêver. Il y a bien quelques ovnis, mais qui sont rapidement renvoyés d’un revers de la main dans la catégorie d’un cinéma de genre ou d’auteur pas assez lucratif. Toutefois, une dynamique nouvelle semble émerger depuis quelques temps : celle des films d’époque, qui font voyager dans la France des siècles derniers au moyen de costumes, décors et effets spéciaux bienvenus.
Après Un Peuple et son roi ou L’Empereur de Paris, en fin d’année dernière, l’année 2019 débute de la plus belle des manières avec Edmond, d’Alexis Michalik. Une proposition réjouissante qui suinte la passion pour la littérature, évidemment, mais aussi pour le Septième art.
Adapté de la pièce de théâtre éponyme créée en 2016, par Michalik lui-même, le film prouve que le recours au cinéma n’était pas vain. Entre volonté de romancer et rigueur dans la reconstitution historique, Edmond met en scène la rocambolesque écriture de Cyrano de Bergerac par Edmond Rostand, face aux innombrables obstacles et contre-temps qui lui tombèrent sur le bout du nez (…) alors même que le temps lui manquait. Aussi l’urgence de l’écriture permet-elle au film de trouver un souffle régulier, une vivacité équilibrée. On ne s’ennuie jamais.
Visuellement, le film est beau : la variété des costumes, les décors (des rues aux théâtres, en passant par les cafés) sonnent juste, et même les quelques effets numériques utilisés lors des plans larges surplombant Paris sont plus qu’honnêtes. Bien que l’action se déroule essentiellement sur les planches ou dans la maison d’Edmond Rostand, le film respire et ne donne jamais l’impression d’être étouffé par ses moyens.
Cette générosité se retrouve également dans la mise en scène, étonnamment virtuose et inspirée. La caméra est libre, positionnée au cœur de la troupe d’acteurs même lors des représentations, plaçant le spectateur lui-même sous le feu des projecteurs. Ainsi la nervosité est-elle palpable, l’humanité des acteurs transparente derrière le masque de leur personnage ; on est assez près des visages pour en deviner les hésitations, les crispations, les joies contenues. Pourtant le spectacle demeure en même temps total, grâce à un montage intelligent et moderne (notamment lors des répétitions), vif, qui par sa seule ingéniosité déclenche à plusieurs reprises le rire. Une manière de filmer à l’américaine, mais dans le bon sens du terme, même si l’on regrettera – en chipotant – une réalisation parfois trop littérale.
La force du film tient indubitablement à son casting et sa galerie de personnages hauts en couleur. Coquelin, l’acteur interprète de Cyrano (incarné par le merveilleux Olivier Gourmet), est un hurluberlu incontrôlable, narcissique et obstiné ; pourtant son amour pour la langue et son dévouement total pour le rôle en fait un personnage touchant, un héros comique au potentiel tragique immense. Edmond Rostand s’avère fascinant, et Thomas Solivérès est parfait : un jeune homme à l’ambition littéraire débordante, qui s’enferme dans le travail au dépens de sa vie de famille. L’inspiration plutôt que l’amour, le temps d’avoir achevé sa pièce. Le reste de la bande est tout aussi convainquant, avec pléthore de rôles secondaires jamais de trop.
Néanmoins le bémol concerne l’écriture et la structure narrative. On notera quelques facilités, notamment dans les rencontres fortuites et les coïncidences qui permettent de faire progresser le récit et franchir les obstacles sans trop de heurts. De même pour le schéma narratif, qui répète une structure assez convenue (avancée de l’écriture, répétition avec les acteurs, obstacle – personnel ou à l’échelle de la troupe –, résolution, retour à l’écriture, etc). Toutefois, chacune des déclinaisons de ce même motif est si bien menée qu’il serait hypocrite d’en tenir réellement rigueur, d’autant plus que le film possède une dimension cartoonesque évidente, inhérente au fait qu’il était à l’origine une pièce de théâtre qui se veut par définition moins « réaliste » que peut l’être un film.
Ainsi Edmond développe-t-il son histoire avec maîtrise et passion, soucieux de mettre au centre de l’attention le couple Edmond-Coquelin, ou plutôt Edmond-Cyrano, puisque ce dernier sonne évidemment comme le reflet poétique du jeune écrivain : parallèle que le film exploite efficacement, sans tomber dans l’identification facile et peu subtile, mais en montrant au contraire, par l’alternance entre le récit de la vie personnelle d’Edmond Rostand et celui de la naissance progressive de Cyrano, l’infranchissable gouffre qui sépare l’auteur de son personnage, malgré leur connivence. Le film disserte sur cette aliénation du créateur dans sa créature, à quel point celle-ci le tient éloigné de sa réalité et de ceux qui l’aiment, le positionnant, sa troupe et lui, seuls face à tous ; pour finalement, lors d’un final à l’émotion incontestable, le ramener à lui-même et faire de cette longue dépossession une épreuve salutaire dont il sort transfiguré.
Edmond est un film qui force l’enthousiasme, parce qu’il est écrit et réalisé par un Alexis Michalik passionné qui domine son sujet, interprété par des acteurs investis, et qu’il permet à cette pièce de théâtre d’atteindre sa forme la plus noble et de franchir avec brio le cap (…) périlleux de l’adaptation. On en ressort heureux, avec pour seule envie de plonger dans Cyrano de Bergerac – et d’espérer revoir très vite certaines têtes mémorables, qui redonnent foi en un cinéma français décidément surprenant.
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le 14 janv. 2019
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