Course en scène
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Ah, la folle frénésie de Pigalle, où la nuit une ambiance de fête s’installe. Un nouveau siècle pointe le bout de son nez, et s’annoncent maints nouveaux chantiers à mener. Quelle est donc cette clameur, qui s’élève dans les rues à cette heure ? Ne serait-ce point là l’expression de quelque prodige, que l’intransigeant public parisien exige ? Sur les planches, ce cher Edmond Rostand ne se présentera point, mais il vient de signer l’un des plus grands chefs d’oeuvre, et de loin.
Pardonnez mon incapacité à poursuivre les rimes et à tenter, quelque part, de m’aventurer dans une écriture en vers, spécialité d’Edmond Rostand, écrivain de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, que nous retrouvons ici entre 1895 et 1897, une époque qui faillit voir sa disgrâce, pour finalement le faire entrer dans l’histoire. Fougueux, des idées plein la tête, Edmond est capable de déclamer des vers en totale improvisation, mais l’appréciation de ses pièces n’est pas à la hauteur du talent manifeste de l’auteur, et lorsqu’on lui demande de se mettre à écrire, l’encre reste désespérément retenue dans sa plume. Alors que les critiques le boudent, que ses pairs le conspuent, et que deux frères commencent à présenter leur nouvelle invention, le Cinématographe, l’horizon semble de plus en plus sombre pour Edmond Rostand. Un artiste, confronté aux aléas de la vie, puis, soudain, la magie de la création artistique opère.
Le principal sujet d’Edmond est la création artistique. Une phrase, me direz-vous, assez bateau quand on sait que le sujet du film est l’écriture et la mise en scène de la pièce Cyrano de Bergerac, par Edmond Rostand. Mais il ne s’agit pas, ici, de simplement décrire le processus, de le rendre scientifique ou mathématique, de le montrer comme une succession d’éléments influencés par des paramètres définis. Créer une oeuvre, la penser, la construire, nécessite de faire don de sa personne. Les péripéties d’Edmond montrent bien qu’une oeuvre, lorsqu’elle naît, évolue au fil des impondérables, de l’inspiration et des événements, avant d’arriver à maturation. Et utiliser des verbes que l’on associe d’habitude à un être vivant n’est pas le fruit du hasard. Edmond traite de la malléabilité et de l’imprévisibilité d’une œuvre, qui, malgré son aspect fictif, contient toujours une part de réel et de vivant en elle. Quand on demande à Edmond Rostand de plancher sur sa pièce, il ne peut se résoudre à écrire sur commande, mais sous l’influence enivrante de Jeanne, les conseils d’Honoré, ou le hasard des événements et des rencontres, tout devient plus clair et évident, le personnage de Cyrano se développe, et voilà que naît l’alter ego théâtral d’Edmond Rostand.
Il y a, dans la gestion du rythme, quelque chose de très enjoué et énergique chez Edmond. Le poète ne tient jamais sur place, n’acceptant pas l’immobilisme, se battant tantôt contre la page blanche, tantôt contre son irrépressible envie de clamer haut et fort sa passion, au risque de causer des dégâts dans son entourage. Thomas Solivérès est solaire, incarnant un Edmond Rostand attachant et rayonnant, parfaitement accompagné, entre autres, par un Olivier Gourmet tout à fait succulent dans la peau de Constant Coquelin. La gravité semble disparaître dans ce film où la caméra virevolte et se faufile entre les personnages, enchaînant les travellings circulaires, faisant entrer le spectateur dans la confidence du spectacle, le faisant devenir un spectateur à part entière.
Certes, Edmond n’échappe pas à quelques facilités dans la construction, suivant un schéma narratif assez classique et parfois un brin répétitif. Il permet, cependant, de retrouver une époque qui me plait beaucoup, où tout semble possible, où tout est à faire, une période de changements où l’art fédère les classes sociales. Une oeuvre n’est pas juste un support, un objet que l’on finance et que l’on achète. C’est une matière vivante, nourrie par nos expériences. Ce n’est pas quelque chose de purement fictif, mais bien quelque chose qui contient toujours une part de réel et de vivant en elle. En lisant ou en allant voir Cyrano de Bergerac, vous ne découvrez pas que la vie de Cyrano, mais bien celle d’Edmond Rostand, qui y a insufflé son inspiration et ses expériences. Edmond est un beau moment, lançant l’année 2019 du cinéma français de fort belle manière, un premier essai tout à fait réussi pour Alexis Michalik.
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Créée
le 22 janv. 2019
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