Grand fan du duo Delépine / Kervern, j'étais absolument ravi de les voir embarquer Blanche Gardin dans leur petit univers et leur monde si particulier. Pour leur neuvième long métrage , les deux compères continuent d'explorer les travers de notre monde avec le portrait drôle, féroce et attachants de quelques fantastiques loosers confrontés à un monde conformiste et rigide qui manque de plus en plus d'humanité.


Effacer l'historique raconte l'histoire de trois voisins d'un petit quartier pavillonnaire de banlieue qui se sont rencontrés lors du mouvement des gilets jaunes. Trois solitudes, trois parcours chaotiques qui vont se découvrir un point commun lorsque le monde numérique confronte les trois amis à de nouveaux problèmes. Marie souhaite effacer une sex tape avec laquelle on tente de la faire chanter , Bertrand veut supprimer une vidéo humiliante de sa fille harcelée au collège et Corinne chauffeur VTC aimerait que ses notations professionnelles sur application dépasse le une étoile ... Ensemble ils vont tenter de partir à l'assaut des GAFAM.


Sans grandes surprises , Effacer l'historique s'inscrit donc dans la veine des précédents films du duo grolandais et propose une nouvelle fois comme dans Mammuth, Louise Michel, Aaltra, Le grand soir ou I feel good des personnages pétris d'une douce humanité confrontés de plein fouet à une société froide, mécanique, normalisé et procédurière. Si Effacer l'historique parle bien sûr de notre monde numérique, de notre rapport à l'internet, de l'omniprésence des smartphones et de la confiscation de notre sphère privée au profit d'une data mondiale globalisé ; le film de Kervern et Delépine brasse d'innombrables autres thématique (peut être trop d'ailleurs) comme l'ubérisation, l'hyper consommation, le dépendance aux écrans, le harcèlement scolaire, l'endettement etc etc .... Mais plus que tout autre chose , Effacer l'historique parle surtout d'humanité et de ce besoin vital , intrinsèque et impérieux de contact et de chaleur humaine. Les trois personnages centraux du film sont des être profondément et désespérément seuls qui tentent de retrouver et de s'accrocher au moindre petit espoir de contact et de reconnaissance humaine à l'image de Bertrand qui tombe amoureux de l'opératrice téléphonique qui l'appelle régulièrement pour lui vendre tout et n'importe quoi à crédit ou Marie qui aimerait retrouver la reconnaissance et l'amour de son fils acheter par son ex-compagnon à coup de gadgets numériques. Et plus encore que d'amour et de tendresse, le film montre combien il devient difficile de trouver un rapport humain à la résolution de nos problèmes. Malins et intelligents les deux réalisateurs et scénaristes ne dénoncent la numérisation et internet de manière globale et caricaturale mais fustigent les dérives de vies ultra-connectées aux services d'un capitalisme globalisé détruisant par répercutions le lien social. Effacer l'historique n'est pas un film bêtement réfractaire vis à vis nouvelle technologie mais la démonstration cinglante que les outils numériques sont devenus aux mains de quelques personnes peu scrupuleuses un formidable outils d'asservissement et de destruction; plus que la machine Delépine et Kervern dressent ainsi un portrait désabusé d'une humanité en proie à toujours tirer le pire du moindre outils qu'on lui mettra dans les mains. Une nouvelle fois Effacer l'historique est un film riche et profond qui pousse le spectateur à réfléchir et se remettre en question avec force et candeur à l'image de la toute fin du film qui passe d'une naïveté un poil enfantine et caricaturale ( Communiquons avec une ficelle et un pot de yaourt) à un constat globale et bien plus amer.


Au delà de son formidable, désabusé et acerbe constat social qui n’épargnera personne (comme toujours chez le duo) Effacer l'historique est aussi une formidable comédie qui contient quelques moments d'anthologie comme la séquence avec le personnage de livreur sous pression interprété par Benoit Poelvoorde , la scène de la salle de bain avec Denis Podalydès ou encore, la confession de Corinne Masiero sur son addiction aux séries ( Impossible de ne pas s'y reconnaître un peu) et la scène hilarante avec le traducteur automatique accroché au cou de Blanche Gardin après une nuit agitée. Regard acerbe, critique et ironique les deux compères s'amusent de mille petites choses qui fatalement parlerons à tous comme la réalité virtuelle, les mots de passe à rallonge, le commerce en ligne, les comparateurs de tarifs, les numéros de hotline surtaxés ou LeBoncoin. Comme souvent chez Kervern et Delépine le casting est formidable avec tout d'abord le trio en tête d'affiche avec Blanche Gardin absolument géniale (Pléonasme), Denis Podalydès et Corinne Masiero. Les seconds rôles sont tous formidables de Benoît Poelvoorde génial (Pléonasme 2) à Bouli Lanners en passant par Vincent Dedienne, Vincent Lacoste , Philippe Rebbot et Michel Houellebeck .... Avec en bonus quelques apparitions amicales et sympathiques de Jackie Berroyer, Jean Dujardin et Gustave Kervern himself. Du pur Kervern/Delépine jusque dans cette façon très particulière de filmer avec de longs plans séquence, ces cadres de grands espaces vides qui renforcent la solitude des personnages et ce grain d'image bien loin forcément du lissage du tout numérique.


Peut être moins féroce que Le Grand Soir, moins mélancolique que Mammuth , moins drôle que Louise Michel ; Effacer l'historique demeure un Kervern/Delépine très grand cru qui se déguste avec délice et montre une nouvelle fois que le duo reste avec Albert Dupontel au sommet de ce qui se fait en matière de comédie française.

freddyK
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le 17 août 2020

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