En sortant du film réalisé par le duo Benoît Delépine, Gustave Kervern, «Effacer l'historique» je me suis dit que finalement mon portable à clapet m'évitait bien de soucis! (oui je sais, ça m'empêche plein d'autres utilisations que recevoir et envoyer des messages ou passer des coups de fil... et surtout je ne suis pas dans l'air du temps), mais ce film «déjanté» nous alerte!
L'histoire se passe dans un lotissement où trois voisins se débattent, pour des raisons diverses, contre les nouvelles technologies qui les submergent et les saignent, dans leur porte-feuille, dans leur intimité, dans leurs vies.
Ces voisins se sont connus et depuis fréquenté, à partir du rond point proche où ils ont campé les samedis des gilets jaunes. Et, vieux réflexe, quand ils le contournent dans la voiture de Christine, chauffeur VTC, agitent par la fenêtre le gilet jaune réglementaire.
Et de cette solidarité des fins de mois difficiles, une amitié est née et ils vont s'épauler avec générosité et lucidité face à la société où on vit et aux déboires dont ils sont à la fois victimes et acteurs.
Une, Marie (Blanche Gardin) vit seule après le départ de son copain et de leur fils de 15 ans et c'est plutôt la galère. Du coup tombe dans une histoire de ''sextape'' , quand un étudiant fauché l'a fait chanter et doit tout vendre sur le bon-coin. L'autre, Christine (Corinne Masiero), une accro aux séries, n'a pas d'étoiles-client avec son taxi nouvelle version, malgré ses qualités et compétences. C'est que la plate-forme internet qui les octroie est plutôt avare et comme ça elle a moins de clients (mais on peut acheter des étoiles, ou des amis pour donner du contenu). Et Bertrand (Denis Podalydès), veuf, seul avec sa fille collégienne, qui se fait harceler et humilier par vidéos interposées. Il vit à crédit, succombe à la voix des îles de Miranda, la «reine de l'intelligence artificielle» et lui finit par se considérer le «roi des cons»! Tous les trois sont interprétés avec talent par des acteurs familiers de nos écrans.
Construit sans prétention, autour de saynètes, parfois burlesques, pleines d'impertinence et de touches justes sur les travers de nos vies connectées, qui paraissent un « destin inévitable». Non, on ne peut pas «Effacer l'historique», il nous marque à la culotte et ailleurs...
Ce film me fait penser au petit livre de Bruno Patino, présenté comme un petit traité sur le marché de l'attention, «La civilisation du poisson rouge» (ed. Grasset * en livre de poche) qui décrit avec fort argumentaire, précision historique et pertinence cette toute puissance des réseaux sociaux qui nous rend la cible, les sujets et les agents de cette palette sans fin des écrans partout. Et quand on regarde autour de soi on le constate sans difficulté, pas de différence sociale, de genre ou de couleur de peau... nous sommes tous dans « l'historique ».
La Berlinale 2020 a donné l'Ours d'Argent du 70e anniversaire aux deux réalisateurs. Coïncidence du calendrier, à quelques jours près, à la mi-février, au moment où le film était présenté à Berlin, l'affaire Griveaux éclatait à Paris... comme si pour effacer l'historique il était trop tard! La fiction main dans la main avec la réalité...
https://blogs.mediapart.fr/arthur-porto/blog/250820/effacer-lhistorique-trop-tard