De même que Thalasso partait de son centre thermal pour donner vie à une collection de récits enchâssés et d’instants hilarants, vaste chambre d’échos où résonnaient une pluralité de voix, Effacer l’Historique orchestre des variations autour d’un même thème – le désarroi de trois personnages devant les nouvelles technologies – et réussit d’entrée de jeu à construire un comique constamment en demi-teinte, toujours prêt à vaciller, à tomber dans le pathétique le plus authentique parce qu’issu d’une base voulue comique ou présentée comme telle. La scène d’anniversaire durant laquelle Blanche Gardin allume les bougies du gâteau de son fils absent commence par une tonalité absurde fort drôle pour soudain choir dans une profonde tristesse, et le spectateur, devant ce spectacle qu’il n’attendait pas, retient ses larmes sans comprendre.
Ce sentiment complexe de rires et de larmes mêlés atteste la virtuosité d’écriture du long métrage qui, sous couvert de la grossièreté apparente de ses protagonistes – masturbation frénétique dans la salle de bain, danse sous alcool au Badaboum, fesses grattées sur un tronc d’arbre –, témoigne d’une foi en l’humanité qui va à rebours de la virtualité dénoncée, du livreur qui n’a pas même le temps de prendre un café à cette défilade de corps penchés sur un clavier d’ordinateur et occupés à faire des vues, à aimer par cœurs cochés. Car il serait erroné de réduire la structure du film à une succession de sketchs ; s’il y a bien succession de sketchs, celle-ci dit quelque chose du thème abordé, soit l’amoncellement de problèmes liés à une technologie toujours plus présente et avilissante, la peinture glaçante de notre société dématérialisée où tout se paie en sans contact.
Les scènes s’enchaînent très vite, les sujets filent à toute allure sans ordre sinon celui de la lutte désordonnée contre un envahisseur invisible qu’il faut aller chercher tout en haut d’une éolienne ou de l’autre côté du monde. L’insolite tonal est cultivé comme droit à la bizarrerie de chaque être et opposé à la machinisation uniformisatrice ; aussi Gustave Kervern Benoît Delépine prolongent-t-ils leur univers de marginaux attachants, campés par d’excellents acteurs, mais ils le font avec une virtuosité, une franchise et une fluidité jusque-là inégalées. Ils signent avec Effacer l’Historique l’un de leurs meilleurs films.