Plusieurs sortes d'amour
L'amour est au cœur de Egoist, pas celui pour soi, contrairement à ce que le titre du film semble indiquer, mais pour les autres, pas n'importe lesquels, évidemment, ceux qui appartiennent à sa...
le 16 oct. 2024
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C’est un lieu commun de le dire, mais il faut savoir s’aimer inconditionnellement pour pouvoir aimer les autres. Savoir prendre soin de soi, en toutes circonstances, défendre ses espaces d’introspection. Savoir s’ouvrir aux changements même s’ils font peur, comme quand on prend son courage à deux mains pour quitter un travail délétère ou une relation peu épanouissante, qu’on garde comme des béquilles pour soutenir une estime de soi défaillante. Combien de millions de personnes, au fond, ne s’aiment pas, cherchant des réassurances à l’extérieur d’eux-mêmes, acceptant de vivre par procuration, donnant illusoirement du sens à des choses qui ne répondent en rien aux besoins de leur être authentique ? Kōsuke est de ceux-là. Prestigieux éditeur dans la mode, son appartement et sa penderie témoignent de son confort matériel. Mais sont-ils véritablement symboles de réussite ? Ses parures de créateurs sont surtout des armures renvoyant une image flamboyante pour mieux tenir les autres à distance. Même avec ses amis les plus proches, il peine à articuler ce chagrin qui le hante depuis la mort de sa mère. Une solitude enfouie qui l’a amené à réprimer son identité, au détriment de connexions humaines profondes.
La situation évolue lorsqu’il engage Ryūta comme entraîneur personnel : l’alchimie est immédiate. D’une beauté ravageuse, Ryūta est la photographie qui manquait à l’album de Kōsuke pour parfaire sa représentation, dans un parallèle évident avec sa profession. Un déséquilibre apparaît pourtant : Ryūta multiplie péniblement les petits boulots pour aider sa mère malade, Taeoko, quand Kōsuke vit dans une opulence sans limite. Ne sachant pas aimer, il croit libérer Ryūta de son fardeau en lui donnant de l’argent comme preuves d’amour. Si cela part d’un bon sentiment, la dépendance financière saborde très vite leur relation – moyen simple de garder l’autre près de soi, tout en entretenant son déclassement social. Alors que le monde change autour d’eux, quelque chose reste à réaliser dans leur histoire, comme bloquée au stade d’imaginaire. Un vide irréductible persiste, que la disparition soudaine de Ryūta amplifie… Ne pouvant se résoudre à la perte, Kōsuke finira par contacter la mère de son amant, pour répéter le même schéma : satisfaire son besoin « égoïste » (d’où le titre) de se sentir aimé en subvenant cette fois aux besoins financiers de Taeoko. Mais la sagesse de cette dernière inversera les dynamiques – véritable catharsis pour notre héros. Une collision entre l’argent, les émotions et la famille va de fait bouleverser leur vie d’une manière que personne n’aurait pu imaginer.
En compétition au dernier Festival international du film de Tokyo, Egoist est un film subtil et déchirant, qui révèle des acteurs éblouissants dans une ode universelle à l’amour – pas toujours celui qu’on pensait chercher. Le réalisateur Daishi Matsunaga suit avec beaucoup d’énergie et de chaleur le voyage non conventionnel de Kōsuke qui lui apportera finalement un sentiment de paix et de compréhension de lui-même. Dans ce fragment de vie qui nous étreint magnifiquement, nous voyons combien les manques intérieurs compliquent et déterminent la manière que nous avons d’aimer. Conséquence de quoi : ce qui alimente notre perception illusoire du bonheur devient la cause même de nos tragédies personnelles… Assurément l’un des plus touchants films japonais de l’année, capable de remettre en question nos propres vies. Mais aussi l’un des plus courageux, tant il n’hésite pas à aborder des thèmes régulièrement balayés sous le tapis au Japon.
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le 6 déc. 2024
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