C'est peu dire que l'on avait adoré "The Young Lady", le premier film de William Oldroyd qui, en plus de révéler l'actrice incontournable qu'est devenue Florence Pugh, dressait le formidable portrait désespéré d'une femme prête à tout pour échapper aux conventions les plus rigides de son temps. Il aura donc fallu patienter de nombreuses années avant que le réalisateur fasse enfin à nouveau parler de lui avec cet "Eileen", nouveau récit d'émancipation féminine délaissant cette fois la noirceur de l'Angleterre rurale du XIXème siècle pour celle du Massachusetts des années 60 et, par la même occasion, le film de costumes sciemment austère au profit du film noir à la saveur Hitchcockienne.
Pétrie de désirs refoulés et de liberté face à la présence étouffante de son père alcoolique dans la demeure familiale, une jeune femme se met à éprouver une fascination irrépressible envers la nouvelle psychologue de la prison où elle travaille...
Évidemment, avec une Thomasin McKenzie bridée au quotidien et à nouveau subjuguée par une figure féminine forte aux mèches blondes (cette fois incarnée par Anne Hathaway), "Eileen" nous ramène inévitablement un certain "Last Night in Soho" en tête par le biais de son postulat mais la ressemblance s'arrête à cette simple énonciation, le film de William Oldroyd propose une ambiance toute autre, plus frontalement dépressive, rationnelle et bien moins colorée (opposée d'ailleurs aux clichés de l'Amérique 60's), prenant donc le chemin des films noirs de l'âge d'or hollywoodien (jusqu'à la calligraphie employée pour le générique), où le stéréotype de la femme fatale est là pour essentiellement vampiriser l'esprit d'une héroïne plus faible et lui permettre d'échapper à son quotidien misérable en vue de desseins que l'on imagine aisément criminels.
Disons-le d'emblée, "Eileen" est un film bien plus mineur que "The Young Lady". Peut-être est-ce dû à la prolifération de ce type de récit durant ces dernières années ou au fait que celui-ci présente des finalités assez prévisibles sur la destinée de son personnage principal mais, sur son cheminement global, on ne pense pas se tromper en disant que "Eileen" aura un impact limité dans les mémoires.
Cependant, en termes de traitement de ses protagonistes, la patte talentueuse de William Oldroyd est bien présente dans la manière d'exposer le triste quotidien d'Eileen, ses fantasmes, sa relation malsaine avec son père emplie de répliques perfides (Shea Wigham est décidément un des seconds rôles US les plus talentueux de notre époque), la noirceur qui gronde en elle (les représentations subites de son esprit torturé dans la réalité sont particulièrement réussies) et cette soudaine attirance pour cette femme libérée à qui elle rêve de ressembler. On a beau deviner les rouages d'ensemble de l'entreprise, les qualités réunies pour l'accomplir la bâtissent avec brio, offrant même de très bons points culminants par leur exécution qui, elle, parvient à produire un certain effet de surprise par sa façon de révéler quelques éléments décisifs (un certain renversement des rôles ou une dernière partie en forme de confrontation en huis-clos doté d'une belle intensité).
Ajoutez à cela une interprétation de très bonne tenue, une sublime B.O. d'époque, la qualité d'écriture, l'atmosphère générale... Et vous obtiendrez une "Eileen" qui, si elle n'atteint pas les firmaments désespérés de son aînée dans "The Young Lady", vaut la peine d'être découverte. En espérant maintenant que l'on aura à attendre moins longtemps un troisième long-métrage de la part de William Oldroyd...