William Oldroyd avait révélé Florence Pugh dans son très âpre premier long-métrage « The Young Lady ». Avec « Eileen » il continue à filmer les femmes mais change de continent pour passer de l’Angleterre à l’Oncle Sam, d’époque aussi pour faire un bond dans le temps du XIXème siècle aux années 60 ainsi que de registre puisqu’on passe d’un drame romantique à un suspense psychologique. Son second essai est l’adaptation d’un roman éponyme de Ottessa Moshfegh qui avait pas mal fait parler de lui il y a quelques années. On y suit une jeune femme à la vie terne et monotone vivant avec son père veuf et alcoolique et travaillant au sein d’une maison de redressement pour garçons mineurs. Un endroit où elle va devenir proche de la nouvelle psychologue et s’émanciper... Difficile d’en dire plus sans déflorer l’intrigue tant ce thriller psychologique dépend de son dernier acte totalement inattendu et surprenant qui rebat adroitement les cartes. Durant toute la première partie du film on sent qu’il y a un truc qui ne tourne pas rond dans cette histoire et que quelque chose va arriver mais on ne sait absolument pas de quoi il retourne, participant au mystère vaporeux qui entoure le film.
Dès le départ, on nous montre tout du point de vue de la jeune Eileen. Tout ce que l’on voit, entend et ressent est de son fait. Mais on peut se demander au bout d’un certain temps si cette narratrice imposée par l’histoire est vraiment fiable. Et la fin ajoute encore à cette impression même si ce sera à nous de trancher par nous-mêmes à la fin du long-métrage. Tout le film est axé sur la psychologie de la jeune femme. Un personnage frustré, empêché, triste et qui rêve d’autre chose plutôt que son triste et morne quotidien. Lorsque débarque cette psychologue belle et plantureuse qui s’intéresse à elle, Eileen change à tous niveaux, comme si cette femme était le déclencheur d’une envie d’autre chose et le catalyseur de ses désirs. Par petites touches adroites et justes, on voit le changement s’opérer.
La mise en scène d’Oldroyd est particulièrement raffinée et en tous points conforme à ce que l’on pourrait attendre d’un tel sujet. Un peu comme dans le sublime « Carol » de Todd Haynes auquel Anne Hathaway a repris la coiffure de Cate Blanchett, la photographie possède une patine à l’ancienne très vintage et adaptée. L’atmosphère hivernale du Massachussets des années 60 est tout aussi bien rendue que dans le récent « Winter Break » d’Alexander Payne qui se déroulait dans le même cadre spatio-temporel. L’ambiance de cette œuvre qui manque peut-être d’enjeux clairs, définis et plus imposants est particulièrement étrange, presque inquiétante, ce qui participe au sentiment de malaise général. Mais on aurait pourtant aimé être davantage bousculé et dérangé. En revanche, on apprécie que le récit aille à l’essentiel au vu des circonstances et soit dépouillé de tout gras, ce qui en améliore l’efficacité. Au final, « Eileen » est un film psychologique admirable et étonnant, porté par un duel d’actrices délicieux, chacune jouant à merveille sa partition auquel il manque juste un petit je-ne-sais-quoi.
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