Eka et Natia, chronique d'une jeunesse géorgienne par BlueKey
Situé dans la Géorgie du début des années 90, après l’éclatement de l’ancienne Union Soviétique, Eka et Natia, Chronique d’une jeunesse géorgienne a le mérite de ne pas tomber dans le film social à messages surlignés. Comme l’indique son titre, le film suit le parcours de deux adolescentes, Eka et Natia, à travers le paysage en ruine, souvent désert, qu’est leur pays.
La grande réussite du film tient notamment à la création de ses personnages, plus vrais, plus vivants que nature. On croit à leur existence, on est suspendu à leurs actions, à leurs décisions. D’une apparente simplicité dans le scénario (plutôt narratif, il nous porte de rebondissements en rebondissements), le film est néanmoins construit de manière à ne jamais pouvoir laisser entendre de la suite des événements, tant les coups de sang et les moments de révoltes de ses deux héroïnes en constituent les tournants décisifs.
Tout au long de ce film, au rythme souvent trépidant, c’est la vie même qui est filmée : les scènes de groupe constituent d’ailleurs les points d’orgue du film, qu’elles soient violentes (rationnement du pain, bagarres d’écoliers), où qu’elles célèbrent des formes de rassemblement plus positives (les jeunes qui chantent au lieu de faire leurs devoirs, la danse au mariage). D’un beau classicisme et d’une grande maîtrise narrative, le film pourrait rappeler le cinéma de John Ford, dans sa manière de montrer des communautés, parfois en corrosion, et comment certains personnages rebelles se tiennent à l’écart, tentent de s’y intégrer, ou plutôt, ici, de s’en échapper.
À cette narration d’apparence classique, d’une grande réussite, s’oppose la violence moderne du contexte. Éclats de voix, conflits orageux, agressions physiques, meurtre… le tout filmé en une suite de longs plans-séquences, d’une adresse formelle parfaite, qui mettent en valeur ce bouillonnement de vie et de conflits. Le travail du chef opérateur Oleg Mutu (notamment connu pour son travail sur Au-delà des collines, My joy, Dans la brume…) est remarquable de bout en bout, créant une ambiance froide et solaire en même temps, entre jaune et bleu. Il fait des décors un élément premier, donnant toute son atmosphère au film. Décors dans lesquels évolue une galerie de personnages impeccablement construits, et tous remarquablement interprétés.
Du cinéma de personnages, de mouvement et d’émotion, peut-être classique dans ses ambitions stylistiques ou narratives, mais absolument réussi dans sa réalisation. Brillant.