On va commencer par des infos, comme ça vous pourrez briller en société quand le film sortira. El Clan est sorti en août 2015 en Argentine et a explosé le record d'entrée sur sa première semaine d'exploitation, record que détenait jusqu'alors Relatos Salvajes - Les Nouveaux Sauvages en France. Le film a justement été produit par les mêmes producteurs que ce dernier (Kramer & Sigman Films et El Deseo avec en plus cette fois-ci Matanza Cine, la boite de prod du réalisateur du film, Pablo Trapero). A cela s'ajoute qu'il a été sélectionné pour représenter l'Argentine aux Oscars et qu'il a reçu le Lion d'Argent du meilleur réalisateur au dernier festival de Venise. Donc quand le film sortira, il sera marqueté comme le nouveau film produit par Almodovar (El Deseo, c'est sa boite de prod avec son frère) comme sont vendus en général tous les films Latino-Américains ou Espagnols en France (quand il ne sont pas produits par lui, l'autre argument c'est le “nouvel Almodovar”, c'est comme ça). Ajoutez à cela le “basé sur une histoire vraie” (un fait divers qui a marqué le pays dans les années 80) et vous aurez le marketing du film: La nouvelle “bomba latina” d'Almodovar “L'histoire vraie de la famille qui a fait trembler l'Argentine des années 80”. Si si, vous verrez...
Le film se déroule donc au début des années 80, entre la fin de la dictature de la junte militaire présidée par Videla avec et de nombreux enlèvements et assassinats et l'arrivée de la jeune démocratie en Argentine et nous narre de manière chronologique (à l’exception d'un flash-forward) la vie de la famille Puccio (qui a donc réellement existé). Une famille patriarcale comme une autre (le père est comptable, la mère professeure, l’aîné joueur de Rugby professionnel,,,) vivant dans un quartier résidentielle de Buenos Aires, à cela près qu'ils séquestraient, extorquaient et tuaient contre rançon de riches entrepreneurs. Le film se centre surtout sur la relation entre le père, Arquímedes (Guillermo Francella, vu dans El Secreto De sus Ojos) et l’aîné de ses 5 enfants, son fils Alejandro (Peter Lanzani).
Pablo Trapero est un bon réalisateur, qui sait ce qu'il veut et ce qu'il veut dire et sa filmographie regorge de films au réalisme brut proche du naturalisme. Ici les personnage n'ont quasiment pas de psychologie et on les suit à hauteur d'homme, on les accompagne dans leurs méfaits. A côté de cela, le film est structuré/calqué sur l'histoire du pays au rythme d'images d'archive afin de le situer socio-historiquement. On fait donc un va-et-vient entre la chronique intime de cette famille apparemment normale et l'Histoire avec un grand H. Cet aspect réaliste est toutefois compromis avec les scènes de séquestrations qui semblent sorties des Affranchis de Scorsese (option combo musique d'époque + plan-séquence) et c'est là le gros problème du film, le grand écart impossible entre la grosse machine et l'aspect intimiste.
Au commande de sa première grosse prod, Pablo Trapero semble ne pas vouloir ou savoir comment orienter son film. On est certes avant tout dans le mainstream, le jeune Peter Lanzani est une star pour ados en Argentine, et la force de frappe de la distribution du film et son succès nous le rappelle aussi. Mais ce qui intéresse Trapero, ce n'est pas la violence des actes (Si vous vous attendez à voir le Parrain version Argentine, passez votre chemin, les scènes de séquestration sont de fait assez molles malgré de bonnes intentions, le film fait son travail) sinon la figure mythique d'Arquímedes Puccio, monolithe impassible au passé et relations troubles.
Et c'est vraiment dommage parce qu'il y a tout de même de très bonnes choses. A commencer par les acteurs principaux qui sont impeccables, la froideur des personnages et leur inquiétante normalité, Une fin trépidante qui donne au film plus de profondeur et l'horreur banale de ces vies. Malheureusement, le cul entre deux chaises que sont une réalisation trop plan-plan pour ce genre de film et un réalisme qui voudrait explorer plus dans les méandres de la perversion et la cruauté des hommes, le film finit pas être impersonnel et sans projection au-delà même du fait divers dont il émane. Vraiment pas indigne, mais sans la profondeur que Trapero aurait dû y apporter.
PS: Le titre alternatif auquel j'avais pensé, "Le clan des Argentins" est copyrighté, trouvez un autre jeu de mot à la Libé!