El Presidente séduit, du début à la fin: mise en scène très soignée, création réussie d'une ambiance, acteurs convaincants, unité de ton et cohérence entre les différentes intrigues, message politique et dénonciation. Autant d'indicateurs d'un film maîtrisé.
Commençons par ce qui nous a davantage plu dans El Presidente: sa mise en scène géniale, audacieuse et très peaufinée, influencée bien sûr par Kubrick mais sans les travellings arrières qui sont sa marque de fabrique. De travelling il est néanmoins souvent question tant Santiago Mitre y a recours, toujours à bon escient. On pense ainsi à celui, latéral, qui en guise de présentation, filme le discours de Castex, chef des cabinets des ministres et bras droit du président, avant de s'arrêter sur un reflet sur une vitre pour montrer en symétrie la secrétaire du président comme un personnage agissant dans l'ombre et enfin glissant sur un tableau représentant une assemblée d'hommes politiques débattant et zoomant sur l'un d'entre eux qui nous regarde (l'admoniteur), nous, public, nous invitant à participer, à pénétrer dans le film. Ou bien celui, magnifique, (arrière cette fois-ci, mais ascendant) défocalisant la photo des chefs d'état pour montrer les hauts sommets de la cordillère des Andes comme pour passer de la pointe de l'iceberg à tout un monde gigantesque et secret se cachant derrière. Enfin, comment ne pas penser penser au Shining de Kubrick avec ce travelling avant suffocant progressant le long du couloir étroit de l'hôtel jusqu'au visage de la fille, ou encore avec ces routes en lacets symbolisant ici la complexité des intrigues entremêlées du monde politique?
De Kubrick, il est encore question avec le lieu de tournage choisi, cet hôtel isolé au milieu des montagnes, rappelant aussi Shining, mais ici lieu caché et placé dans une position supérieure où se joue le destin d'un continent, participant à créer une ambiance mystérieuse de thriller politique où se mêlent les intrigues dans un monde cynique où la manipulation et les mensonges d'état desservent un climat latent de paranoïa. Le mélange des sphères privée / publique va d'ailleurs dans ce sens, lorsqu'un membre de la famille s'immisce dans les affaires politiques. Ce va-et-vient entre l'intime et le collectif possède aussi l'avantage de toucher un public plus large (plus féminin surtout) et donc de ne pas s'enfermer exclusivement dans l'intrigue politique au profit de l'intrigue secondaire de la fille (l'excellente Dolores Fonzi) avec une légère incursion dans le fantastique. En détriment, nous regretterons un certain manque de profondeur, un traitement un peu superficiel de la question politique. Néanmoins, après ce petit écart narratif, Mitre revient sur le thème principal, avec une grande force dénonciatrice, en révélant des dérives créées par le libéralisme économique et le pouvoir des lobbys. Certaines références, si elles ne sont pas vraies, sont très vraisemblables, rappelant hélas bien des faits réels (le président Brésilien apparaît comme un mélange de Dina Roussef et Lula, le président Mexicain comme toujours aux pieds des États-Unis, la manipulation du gouvernement américain et leur infiltration dans les gouvernements latinos).
Un très bon moment de cinéma donc, grâce à ce jeune cinéaste argentin (38 ans à peine) dont on n'a certainement pas fini d'entendre parler.