En 1966, Jaime Caicedo alias el Grillo, un petit truand de la ville de Cali décide de passer à la vitesse supérieure et se lance dans l'aventure ambitieuse de la transformation chimique de la pate de coca en cocaïne, une drogue qu'il exportera d'abord aux Etats-Unis puis vers l'Europe, au début des années 70. On raconte que cette figure de Cali, dont la couverture était les nombreuses discothèques qu'il possédait dans la capitale de la salsa, employait jusqu'à 6000 personnes, entre les salariés de ses clubs et tout le personnel qui gravitait autour de l'économie de la cocaïne... Véritable roi de la nuit, des milliers de caleños danseront chaque weekend au rythme du boogaloo dans l'une de ses discothèques aux noms restés mythiques pour beaucoup d'habitants. Lorsque l'argent va couler à flots, dans les années 70, il va peu à peu se mettre toute la ville dans la poche, des hommes politiques aux juges et aux policiers, contribuant à poser les bases des cartels qui ravageront la Colombie dans les années 80 et 90.
C'est la vie de cet homme et l'histoire récente et tragique de la Colombie qui est racontée à travers le personnage fictif de Pedro Rey, un homme charismatique qui avec l'appui d'un réseau de voyous, d'un chimiste et d'un intermédiaire américain, deviendra le premier exportateur de cocaïne colombienne vers les Etats-Unis. La force du film réside dans le fait qu'il n'est pas dans la glorification de l'homme ni de son activité, mais qu'il montre des personnages dans toutes leurs contradictions, leurs doutes, leurs erreurs, leurs addictions à une drogue dont ils sont eux-mêmes à l'origine. Une drogue qui détruira des familles, ce que montre bien le film. Une drogue qui se répandra à grande échelle sur la planète, avec l'appui d'intermédiaires Américains, ce qui est ici montré en filigrane avec ce volontaire blondinet du Peace Corps (peut-être une couverture pour un agent de la CIA) qui s'avère être un énorme importateur sur le territoire américain.
Le film est assez court, et avec les moyens du bord s'en sort très honorablement dans la reconstitution de cette fresque colorée qui s'étale sur une décennie. Par moments le réalisateur fait un peu trop la part belle aux grands thèmes du genre : la femme magnifique d'abord chérie puis abandonnée, la maîtresse, l'ami qui trahit et sera abattu par le protagoniste, qui lui-même sombre dans une addiction qui le conduit à sa perte. Ce n'est pas sans rappeler le Scarface de De Palma. Mais les acteurs sont convaincants et l'ambiance de l'époque bien reconstituée.
El Grillo / El Rey, dans la vie comme dans le film, meurt assassiné dans un de ses clubs en 1977, par un policier qui lui servait d'intermédiaire et le trahira pour des raisons obscures. Sa mort coïncide avec le développement du cartel de Cali qui, pour faire un raccourci, reprend ses affaires avant de rencontrer l'essor international qu'on lui connaît. Son cortège funéraire à travers la ville a réuni plus de 5000 personnes et fut suivi par 1500 véhicules. Généalogie d'un mal.