Voulu à l'origine comme un nouvel épisode de la série Nouveau combat sans code d'honneur, Fukasaku et Kōji Takada (l'auteur de trois des huit volets de la série) devront revoir leur scénario après que Bunta Sugawara ait poliment décliné le rôle principal. Dès la séquence d'introduction, on est pourtant bien replongé dans l'atmosphère de la série : la voix-off présentant le contexte, la musique de Toshiaki Tsushima, ce générique en lettres rouge sang et la description sans ambiguïté qui annonce la couleur :
Cet endroit a engendré un grand nombre de yakuzas. Chaque conflit qui avait lieu dans le Hokuriku était si farouchement violent, que même un yakuza d'Hiroshima ou de Kyushu aurait détourné le regard.
Le ton est donné.
En voyant cette séquence d'introduction on pense immédiatement au Goyokin d'Hideo Gosha (1969) et surtout à sa séquence finale : même paysage de la côte d'Echizen enneigée et battue par la furie des vagues, des tombes au bord de la plage, des corbeaux, une tempête de neige, et surtout des joueurs de taiko (gros tambours) masqués qui interprètent la danse du démon. D'ailleurs les costumes et les masques sont rigoureusement identiques si vous observez les deux scènes. Autre clin d'œil, le clan ennemi se nomme ici Kanai-gumi, qui s'écrit avec le kanji 金 ("or") tout comme Goyokin. Beaucoup de parallèles qui ne peuvent relever de la simple coïncidence.
On peut aussi y voir des ressemblances avec le film Les Loups, toujours du même Hideo Gosha (1971).
Le film met en scène un gang de la région du Hokuriku (côte Nord du Japon), une région isolée au climat rigoureux qui a engendré des hommes de la même trempe, sauvages et farouchement indépendants, moins connus pour leur bonnes manières que pour leurs méthodes violentes. Ils sont donc à l'opposé des groupes structurés et codifiés de la côte Sud, qui jusqu'à présent s'étaient sagement tenus à l'écart de ces gangs de ploucs.
Ici, dans cette région hostile, le jeune homme pour grandir doit surmonter l'homme, le loup doit déchirer ses frères et ses parents, le yakuza doit renverser le boss.
Dans ce contexte anarchisant, deux gangs du Kansai ont des vues sur la région de Fukui, qui doit leur ouvrir les portes du Nord et leur permettre d'étendre leurs opérations. Mais ils trouveront face à eux Noboru Kawada, interprété par Hiroki Matsukata, une tête brûlée qui n'aura pas peur d'utiliser les uns comme les autres pour défendre son territoire et repousser ces envahissants hommes costumés.
En 1973 Fukasaku avait révolutionné le genre des films de yakuzas en initiant un nouveau cycle* de films quasi-documentaires, ou style jitsuroku, avec son Bataille sans code d'honneur, une série de 8 films dépeignant des yakuzas violents et sans morale, mais surtout appuyée sur des faits réels, inspirée par une guerre des gangs dans la province d'Hiroshima qui défraya la chronique. Pour accentuer le style documentaire, une voix off et des incrustations à l'écran venaient présenter les protagonistes et les événements, le tout mis en scène dans un style qui se voulait réaliste, le réalisateur courant caméra sur l'épaule après des voyous maladroits qui échangeaient des coups de feu en pleine rue et mouraient lamentablement dans le caniveau.
Avec cette guerre des gangs dans le Hokuriku, ce cycle trouve son épilogue.
Malgré l'avertissement dans le générique d'ouverture précisant que le film est une œuvre de fiction et que toute ressemblance avec des faits réels ou des personnes ayant existé ne serait que fortuite, les yakuzas locaux n'ont pu s'empêcher d'y voir un parallèle avec le chef du clan local, le Kawauchi-gumi, et ce dernier sera abattu un mois et demi après la sortie du film. Fukasaku lui-même a reçu un certain nombre de menaces. Comme quoi l'introduction disait vrai, les yakuzas dans cette région hostile ont encore moins de manières qu'ailleurs.
Après cet épisode Fukasaku lâchera les films de yakuzas pour se diversifier et toucher à d'autres registres -- même si les yakuzas ne sont pas bien loin dans The Gate of Youth (1981) notamment. La production de la Toei pour ce genre de films va elle aussi considérablement ralentir, et il faudra attendre Kitano ou Miike pour remettre le yakuza-eiga au goût du public.
*On peut déjà y voir les prémices dans Le Caïd de Yokohama (1969) ou Guerre des gangs à Okinawa (1971), mais je considère ces films plutôt comme l'œuvre de transition entre le genre classique et la touche plus anarchique qui suivra ; ou dans Okita le pourfendeur (1972) mais celui-ci appartient à la série des Toei Gendai Yakuza.