Le renouveau du studio

Petit coup de cœur pour le nouveau Pixar, dont l'univers fantaisiste donne du relief à une histoire étonnamment intimiste sur fond d'immigration, de communautarisme, d'héritage familiale et de rapport de classe.

Ici, pas de grande aventure épique jonchée de péripéties, pas de gros enjeux à échelle planétaire, ni même d'antagoniste. Elémentaire se focalise presque exclusivement sur l'histoire d'amour entre une flaque d'eau issue de la classe dominante et une flamme de feu ayant immigrée dans un monde qui n'est littéralement pas designé pour elle. Et c'est justement parce que le film met autant l'emphase sur son jolie petit couple que leur romance arrive à avoir autant de consistance à l'écran. On prend un plaisir certain à observer cette caractérielle à fleur de peau, abandonner peu à peu sa carapace de flamme au contact de cet hyper sensible attentionné, et l'on s'amuse de voir les deux tourtereaux se découvrir, apprendre l'un de l'autre en parfaite complémentarité, ou rivaliser d'ingéniosité pour braver les obstacles qui pourraient les empêcher de concrétiser leur union.

L'enjeu principal est lui-aussi très simple, puisqu'il s'agit seulement pour Flamme d'avouer à son père qu'elle ne souhaite pas reprendre sa boutique et préfère devenir souffleuse de verre aux côtés d'un des êtres aquatiques tant méprisé par les siens. Sauf que le background mit en place dans la première partie aide à prendre cette problématique au sérieux. On sait par quoi la famille de feu est passée, on connaît la valeur de cette boutique à leurs yeux et comme Flamme, on aime trop son adorable papa pour le voir souffrir, surtout maintenant qu'il semble s'approcher dangereusement de la retraite anticipée. Le spectateur ressent ainsi la même pression que se met l'héroine au quotidien pour se montrer digne du sacrifice de ses parents, sentiment également partagé par de nombreux enfants d'immigrés. Et le cheminement intérieur de Flamme fonctionne d'autant plus que, comme elle, nous mettons d'abord ses problèmes sur le compte d'une mauvaise gestion du stress. Ce n'est que progressivement, de manière assez subtile, que sa véritable voie professionnelle se dessine sous nos yeux avec évidence et que ses crises de colère nous apparaissent clairement comme un refus d'exercer ce métier qui la débecte.

Je sais que le film ne fait pas l'unanimité, autant auprès du public que des critiques qui le réduisent presque toutes à une romance cul cul sans intérêt, ignorant toute la richesse thématique et artistique derrière la façade ultra convenue de "l'amour impossible entre deux êtres que tout oppose". Tout ça après avoir encensé le dernier shojo de Makoto Sinkai 2 mois avant bien-sûr !

Certes, le film est loin d'être parfait, je lui reprocherais par exemple ses quelques scènes de tension mettant physiquement en danger les protagonistes, qui jurent énormément avec la simplicité du récit et ne fonctionnent pas vraiment, la faute à une mise en scène trop faiblarde. De même que l'absence de confrontation entre Flamme et son père, son choix étant un peu trop rapidement accepté par ce dernier comme si, au final, l'enjeu n'avait pas autant d'importance qu'on nous le laissait entendre. Mais j'ai tout de même l'impression que si Elémentaire était sortit 10ans en arrière et pas dans une époque de Disneybashing comme la nôtre, il serait sûrement accueilli avec beaucoup plus d'enthousiasme par les amateurs d'animation, comme ces derniers le font habituellement avec n'importe quel autre film du genre se contenant d'être correct. Je suis le premier à conspuer les dernières productions abominables de la compagnie, ainsi que leur politique opportuniste et mercantile, mais je regrette que cela puisse affecter la réception d'une œuvre aussi aboutit dans sa direction artistique, le traitement de ses thématiques, la cohérence de son univers fourmillant de détails ou même sur sa somptueuse BO et son mélange d'inspirations yiddish et indiennes qui participent pleinement à l'atmosphère si particulière du long-métrage.

Ce sont toutes ces raisons qui font d'Elémentaire un film singulier au caractère très personnel pour son réalisateur Peter Sohn, lui-même issu d'une famille d'immigrés coréens. Loin d'être le signe du déclin de Pixar, il confirme à mes yeux le renouveau artistique du studio déjà entamé depuis maintenant quelques années, notamment avec le tout aussi surprenant Alerte Rouge sorti l'an passé. Un renouveau qui risque malheureusement d'être contrarié par l'énorme échec de Buzz l'Eclair et les innombrables projets de suites aux grands classiques Pixar annoncés récemment.