Du premier au dernier plan, Elephant s’impose comme une étrange mécanique, un objet hybride qui prend le parti de nous emmener hors des sentiers battus et de fouler au pied les attentes dont il peut faire l’objet au regard du sujet qu’il traite.
Tout, dans ce récit, n’est que trajet. De celui des nuages filant au-dessus d’un poteau électrique dans le très beau plan initial aux zigzags chaotiques de la voiture paternelle dans la première séquence, Gus Van Sant semble se contenter de suivre les parcours de ses personnages convergeant vers la catastrophe.
Rivés aux nuques, s’enfonçant dans le dédale d’une structure inhumaine par sa démesure, le cinéaste propose une radiographie presque désincarnée d’individus qui se croisent dans une atonie générale trop artificielle pour être involontaire. Cette dilatation du temps, où l’action réelle des conversations ou des interactions est supplantée par les déplacements solitaires et sans parole, soulignée par la musique de Beethoven génère une mélancolie qui sera l’une des forces du film. Instants suspendus et insignifiants, polyphonie spatiale permettant de revoir la même séquence du point de vue de personnages différents, sans qu’elles servent réellement le sens du récit, se déploient en une poésie visuelle d’autant plus délicate et fragile qu’on sait l’imminence de la tuerie en ces lieux trop paisibles. Au dehors, la très belle photographie, incarnée par le personnage d’Elias braquant son appareil au hasard des rencontres, capte la lumière automnale avec une grâce imparable.
Non chronologique, c’est lorsqu’il tente d’insuffler les dissonances que le film perd de sa grâce aérienne. Si les brimades en off dont fait l’objet Michelle sont assez pertinentes, le portrait fait des ados tueurs est plus maladroit, démonstratif là où la distance humble permettait une empathie étrange avec les victimes.


Expérience atypique, Elephant surprend comme il trébuche, et son violent final fait mouche parce qu’il semble épouser l’état d’esprit de ses instigateurs, anesthésiés et sans réelle prise de conscience. Si le film peut se perdre par instant dans les errances dont il se veut le guide muet, il n’en reste pas moins un parcours de spectateur assez marquant.

Créée

le 1 mai 2015

Critique lue 5.7K fois

105 j'aime

3 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 5.7K fois

105
3

D'autres avis sur Elephant

Elephant
Sergent_Pepper
7

Parcours par chœurs.

Du premier au dernier plan, Elephant s’impose comme une étrange mécanique, un objet hybride qui prend le parti de nous emmener hors des sentiers battus et de fouler au pied les attentes dont il peut...

le 1 mai 2015

105 j'aime

3

Elephant
Pimprenelle
5

Esthétique mais chiant

Je ne suis pas un esthète, j'aime les films qui racontent une histoire. Elephant est un peu une exception à cette règle. Car du film, c'est vraiment l'esthetique qui en est l'aspect le plus marquant:...

le 16 févr. 2011

90 j'aime

15

Elephant
Deleuze
8

La loi du lycée

Elephant est en quelque sorte l’évolution de Freaks (1932) projetée dans le monde moderne. Je parle d’évolution sans avoir la prétention d’affirmer une hausse qualitative mais plutôt avec la...

le 15 sept. 2013

63 j'aime

8

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53