Elephant est en quelque sorte l’évolution de Freaks (1932) projetée dans le monde moderne. Je parle d’évolution sans avoir la prétention d’affirmer une hausse qualitative mais plutôt avec la certitude que les 2 films ont quelque chose en commun. Autant dire que victimes d’un rejet social humiliant, si les bêtes de cirque Browningiennes avaient disposé d’armes automatiques, on aurait eu le droit à un remake d’Elephant.

Passons sur ce point de vue purement personnel et intéressons-nous à la façon dont Gus Van Sant - réalisateur de mon adoré Harvey Milk – parvient à exposer des faits comme ceux survenus à Columbine en 1999. Tout d’abord, il contrecarre la focalisation naïve des médias sur l’accès aux armes aux Etats-Unis en n’accordant à ce problème qu’un duo de plans. Et ce au profit de la raison, de la cause principale qui a mené au drame : le monde du lycée, en apparence inoffensif, en réalité des plus terribles.

Tout y passe pendant les longs plans, très longs plans du réalisateur ( qui en rebuteront plus d’un) : homosexuels, boulimiques, têtes de turc, filles laides, fils d’alcoolo, en bref toutes les personnes qui subissent un rejet moqueur de la part de leurs camarades de cours. Ils sont seuls et ont ce mal viscérale, saillant, invisible mais bien présent, indolore mais mutilant, inconnu et pourtant si répandu. Ils manquent d’affection, ils manquent d’amour.

Pour faire court, le réalisateur favorise la crise adolescente et met quelque part en évidence que si ce 20 avril 1999, rien ne s’était passé, alors sans aucun doutes, la semaine suivante, ou peut-être celle d’après, un(e) désespéré(e) aurait empoigné une arme achetée sur le net et aurait provoqué, par la superposition de ces deux circonstances atténuantes (mal-être et accessibilité des armes), un autre massacre, peut-être pas à Columbine, peut-être pas aussi meurtrier mais pour les mêmes raisons.

Exposer la routine quotidienne de la vie lycéenne est pour moi la meilleure façon d’amener le drame et cet anti-Bowling for Columbine est convaincant malgré une réalisation particulière, fruit de l’éclectisme stylistique du Gus Van Sant.
Deleuze
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le 15 sept. 2013

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