Désir meurtrier
Le contrôle et la manipulation sont des thèmes récurrents dans les films de Paul Verhoeven notamment quand ce dernier s’entoure de personnages féminins comme l’étaient Nomi (Showgirls) ou Catherine...
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le 26 mai 2016
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Très Verhoeven, ce film : le simple récit est dépassé et de grandes questions sont soulevées avec un art de l'accessible assez rare.
Par exemple, la grande question qui m'a animé pendant le film, c'est comprendre pourquoi il y a cette scène de jeux vidéos. Comprendre la fonction sociale de l'héroïne, donc. Et, à mon avis, la question qui est posée concerne l'irréalité de ce type d'agression complètement disproportionnée, l'irréalité que cela provoque, et donc un certain déni. L'héroïne nettoie le verre cassé avant de s'occuper d'elle, et ça c'est pendant tout le film : est-ce vraiment réel ? Quelle prise de conscience donner à ce genre d'actes barbare et si fugace ?
Pour ce qui est du féminisme - le réalisateur assurant que c'est un film féministe - je me tire les poils des bras pour m'aider à rire : on est en plein dans la représentation de la culture du viol. Non parce que l'héroïne est violée ou parce qu'elle finit par se servir de cette violence pour avoir le courage de demander à son "agresseur" ce que cela lui procure. On est en plein dans la représentation de la culture du viol car le sujet féminin est désiré mais aussi désirable en soi. Elle porte le désir sur elle, malgré elle. C'est bien connu, une femme qui veut dire non, ce n'est jamais perçu comme un simple non. Mais aussi parce que ce protagoniste est orienté du début à la fin par des choix masculins : son ex, son agresseur, son fils, ses collègues. Et ça, ça la fout un peu mal.
La scène de viol n'est pas éludée et je tiens à souligner le travail à la fois esthétique mais non plaisant.
Il est toutefois intéressant que le film ne trébuche pas sur un simple film de vengeance, avec tout ce qui peut apparaître comme des poncifs. J'avais peur de voir un "Ange de la vengeance" ou un "A vif" (avec Foster). C'est donc, à mon sens, plus un thriller d'art, un exercice narratif plus qu'une oeuvre morale. Le film est tellement un exercice qu'il en devient même comique par touches - ce qui provoque l'étonnement dans un film a priori où l'on s'attend à subir le drame et la question de la rémanence de celui-ci, de sa réalité autrement dit. On ne subit jamais à vrai dire. On est acteur, assis sur nos questions, devant une victime voguant dans les impasses du patriarcat.
Justement ! Pour ce qui est d'Huppert, on la retrouve, comme à son habitude, insatiable, dans un rôle froid, névrosée et pince sans rire. Par exemple, la tragédie familiale (un massacre irréel lui aussi) qui trame la psychologie d'Elle a l'air de tomber comme un cheveu sur la soupe mais, en vérité, il fallait bien ce pas de côté pour exprimer son dégoût de la justice, de la police, des hommes (?) mais aussi sa névrose obsessionnelle. Ce film n'est pas une simple superposition d'histoires grotesques, c'est un tout encore plus grotesque, si bien que c'en devient cohérent. En effet, le film raconte exactement ce avec quoi on menace toutes les petites filles et les nonnes, à savoir l'intrusion sans crier gare de douze mercenaires congolais montés comme des caribous dans la vie d'une femme, sans défense, parce que seule n'est-ce pas... Alors que tout le monde sait que le viol est à 74 % commis par une connaissance ou un proche et que les lieux des agressions sont, comme ici, au domicile de la victime.
Il est à noter que Verhoeven fait une grande distinction sexuelle dans sa volonté de mettre en scène. Il est largement plus directif avec les femmes que les hommes. Du coup, Lafitte, même en roue libre, est capable de proposer une composition intéressante, homogène, à la fois débonnaire et jamais tellement hideuse.
Ce qui fait de ce film, un film d'instinct, de loi de la jungle, un film sans civilisation, un film où seul le rapport direct prévaut. C'est important de le souligner car cela justifie et permet de dresser un récit qui ne s'embarrasse pas d'éléments ordinaires ou classiques. Certains trouveront tout cela grossier, frontal, comme bon nombre de films de Verhoeven où l'on élimine tout ce qui n'est pas nécessaire. Sachez, à tout hasard, que Haneke aussi utilise ce genre de personnages qui n'ont aucun problème dans le seul objectif de mieux traiter LE problème posé dans le film.
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Créée
le 7 juin 2016
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