J'ai mis des notes bien plus élevées à des films dont j'ai déjà oublié le pitch, mais je retournerai sans doute voir Elle.
Priver son agresseur du bénéfice narcissique du viol en le reprenant à son compte, on avait déjà vu ça déjà chez Verhoeven dans La Chair et le Sang. Difficile, en plus, de passer outre la ressemblance physique entre Huppert et Jennifer Jason Leigh.
Elle va plus loin, elle force à transformer le viol en relation, en l'imposant à son agresseur. Non pas une relation amoureuse, quoique : la tache en coeur rouge-rose de sang dans la mousse du bain pourrait le laisser croire. C'est une relation de contrôle. Elle veut contrôler tout ce qui lui arrive, de façon pragmatique.
Huppert est Michèle Leblanc, dirigeante dans un studio de création de jeux vidéo, une femme quinca dans un monde d'hommes à peine trentenaires, "une erreur de casting" selon JB Herment (Mad Movies). A priori, je lui aurais donné raison. Cependant, un échange quelque peu tendu entre Michèle Leblanc et un des créatifs de son entreprise balaie rapidement cette incongruité : il lui reproche de ne pas être à sa place, et qu'elle et son associée aurait mieux à faire dans l'industrie du livre. Ce à quoi elle répond "c'est moi qui commande" (en gros, je t'emmerde). Il en va dans l'histoire comme dans le casting. Huppert est depuis quarante ans l'égérie du cinéma d'auteur, et si Verhoeven décide de lui confier un rôle, c'est lui qui commande (et il t'emmerde). L'idée même d'utiliser l'industrie du jeu vidéo est intéressante. Le monde virtuel, fantasmé, comme le cinéma, presque aussi masturbatoire que le porno, et fait écho aux attitudes et réactions d"Elle". Michèle Leblanc agit comme un être désaffecté, qui parle de son agression avec détachement, lui fantasme en souriant tranquillement une issue différente, où elle défonce le crâne de son agresseur à l'aide d'un gros caillou.
Elle montre aussi comment les rapports l'hostilité sont exaltants, créateurs, productifs. Michèle Leblanc se repaît des réactions qu'elle provoque. Elle observe, elle étudie, presque, la douleur de son amie en lui disant qu'elle couche avec son compagnon. Elle se nourrit de la colère de son voisin, elle le toise, le menace et le provoque.


Du point de vue des références au cinéma, "Elle" est un vrai collier de perles : on emprunte à Hitchcock les références aux femmes psychotiques (Marnie), la lutte aux ciseaux (Le crime était presque parfait) le voyeurisme (Fenêtre sur cour) ; à Eisenstein, avec la poussette au-dessus des marches (le cuirassé Potemkine). En un sens, Verhoeven fait un vrai film français, à la manière de Truffaut. Mais on retrouve aussi le 44 magnum de l'inspecteur Harry.


On retrouve aussi un thème : la psychose de la filiation. Vincent, le fils se prend d'accès de rage contre sa mère, comme s'il craignait d'être le rejeton tardif de l'aïeul psychopathe. Il veut d'un enfant qui n'aura pas son ADN.


Il finit par reproduire le schéma redouté, en assistant sa mère dans l'exécution de l'agresseur.


Huppert est rousse. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup. Il n'y en a pas des camions-bennes, reconnaissons-le, dans le cinéma contemporain (Julianne Moore, Christina Hendricks, Jessica Chastaing, Audrey Fleurot...). Est-ce dû à une difficulté chromatique, technique de maquillage, costumes? peu importe. Elle ne passe pas son temps, comme Marnie, à changer de couleur de cheveu, mais de chemisier, celui-ci lui donnant chaque fois un écrin différent.
J'ai pourtant du mal à supporter la prise de vue, les cadreurs parkinson, et le rythme trop lent des répliques : le temps de réaction est trop long. Cependant, les scènes de viol sont très bien chorégraphiées et montées et la dernière séquence de lutte offre un mouvement brusque en caméra subjective extrêmement bien ficelé.


Huppert laisse finalement beaucoup de place aux autres acteurs. Même si certains sont assez mauvais, il reste Lafitte et Efira. Laurent Lafitte a un jeu étrange, mais crève l'écran dans une simple scène : en tête à tête avec Huppert, il passe de l'incompréhension feinte, à la dénégation pour arriver à une fureur contenue mêlée à la tristesse et au dégoût. Virginie Efira compose une bigote catho tradi, pas du tout outrée à la Le Quesnoy chez Chatillez, de façon très simple, donc, et très crédible....


ce qui rend sa dernière remarque d'autant plus glaçante.


Filmer Huppert légitime Verhoeven auprès du cinéma d'Art et d'Essai, souligne son statut d'auteur. A ce titre, elle est utilisée en tant qu'icône. C'est bien joué, Paulo. Mais on n'est pas à la veille d'un nouveau Starship Troopers.

professeurkrys
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le 6 juin 2016

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