Si le premier volet consacré à Sasori pose les bases d’une marque de fabrique —voire d’une identité forte— absolument indiscutable et séduisante, Ito surprend ici l’amateur en déconstruisant son personnage emblématique, pour finalement le transcender, le changer en quelque chose de plus impalpable et symbolique. Et pour se faire il s’affranchit des murs de la prison pour dépeindre une cavale en enfer : le monde extérieur.
Aimer le deuxième opus : check.
Je dois cependant avouer que j’ai été assez déconcerté par « Joshuu sasori: Dai-41 zakkyo-bô » ; au début du moins. Je m’attendais assez honteusement à rempiler pour un deuxième film carcéral avec tous les ingrédients intrinsèques ; ceux du premier en l’occurrence et de préférence.
Quelle joie, donc, de retrouver Nami au trou, enchaînée, raillée, malnutrie, sale, mais néanmoins toujours aussi vénéneuse et déterminée, en train de tailler une petite cuillère pour en faire une arme ! Quelle joie de retrouver ce salopard de directeur toujours bon pied bon œil (hohoho) et prompt à exercer sa haine et sa rancune sur Sasori !
(Non, contrairement aux apparences je ne suis pas sadique, ou tordu, ou gardien de prison.)
Sans revenir sur le pitch en détail, le scénario s’attachera dans la première partie du film à deux choses : accentuer la rancœur entre Nami et son geôlier, et ternir l’aura de la prisonnière 701 en brisant sa volonté et son charisme par le biais de son intégrité physique.
Encore une fois d’emblé et tout le long du film, l’homme est cruel, bestial, sadique. Encore une fois l’homme est un bourreau. L’homme est faible, lâche, pitoyable, corrompu, fourbe, inexcusable.
Durant cette première partie Sasori tombera au gré des sévices et humiliations de son pied d’estale, passant d’icône à dépouille mortelle, dépossédée de son corps, et de toute manifestation d’humanité telles que la douleur, la souffrance ou la peine. Plus que dans le premier film, Meiko Kaji fera de son personnage une paire d’yeux immenses et transperçants ; son mutisme accentuant l’impression donnée que la femme scorpion n’est plus qu’une enveloppe animée par un esprit vengeur et implacable.
Côté rythme et narration, cette longue introduction pourra surprendre. Ito prend son temps pour défaire et reconstruire son héroine, mais il pose les bases qui participeront plus tard à la totale réussite du personnage. En attendant il nous abreuve de petites gourmandises de mise en scène toujours aussi délectables.
Si Nami est quasi muette le long du film (premier sentence à 1h08), rassurez vous, vous entendrez le son de la voix de Kaji chanter « Onna no Jyumon » qui annoncera le début de la cavale des sept détenues évadées, constituant le corps de l’histoire.
Au passage, il est intéressant de remarquer que les crimes violents dont sont toutes coupables ces femmes en cavale trouvent leurs origines dans les méfaits des hommes de leur vie. Intéressant aussi de noter que Sasori n’emploie que le couteau —objet phallique par excellence— pour mettre à mort ses ennemis intimes.
C’est justement à partir de cette évasion que le film s’affranchit de son prédécesseur en chamboulant tout repère, qu’il soit thématique, scénaristique, symbolique, ou tout simplement visuel. Dorénavant l’action se déroule en extérieur, mais la sensation de liberté qui pourrait en découler se transforme en menace invisible : celle de se faire repérer, celle de se faire rattraper, celle de se faire tuer. Il faudra donc se planquer, s’enfermer. De même, si les murs de la prison n’entourent plus les fugitives, elles se retrouvent physiquement pourchassées par leurs gardiens et moralement harcelées par leurs péchés, quand elles ne sont pas prisonnières de leurs désirs viscéraux (retrouver son enfant, son homme etc).
Autour de ces évènements, Shunya Ito bâtit littéralement un théâtre surréaliste et à l’onirisme oppressant, faisant preuve d’ingéniosité graphique et d’un dynamisme des plus remarquable. Il emprunte au Kabuki sa rythmique, au Nô son intensité dramatique (et un élément de narration chanté), et au théâtre en général son jeu de lumière et de décors. Ajoutez à ça des éléments glanés au fantastiques et une B.O toujours aussi somptueuse.
Par contre, inutile de revenir sur la beauté de Meiko Kaji, on va pas se faire de mal, hein.
Sasori quant à elle redevient une icone, le symbole d’un féminisme exacerbé, silencieux, impalpable et implacable parce que légitime. Plus qu’une femme, elle est LA femme post 60’s; libérée de l’homme, libérée des chaines sociétales, renaissant des cendres d’une condition féminine abandonnée à la gent masculine barbare et moribonde.
Bordel ce film me donne envie de brûler mon soutif.