Ema
6.7
Ema

Film de Pablo Larraín (2019)

La destruction des corps, en toute beauté : Un film électrisant, charnel et poignant.

Quatre ans après l’hypnotisant Jackie, le réalisateur chilien Pablo Larraín revient avec un film d’une modernité renouvelant sa filmographie plutôt Historique, et qui s’ancre cette fois-ci dans le présent. Pour cela il choisit de dresser le portrait d’Ema (Mariana Di Girólamo), une jeune danseuse qui est mariée avec Gastón (Gael García Bernal), un chorégraphe de renom plus âgé, pour qui elle danse. Ce couple fait face à une crise existentielle après l’adoption d’un enfant qu’ils ont fini par remettre aux services sociaux… Mais Ema a décidé de faire les choses différemment. Entre vitalité, force d’expression et esthétique de la destruction, ce portrait électrique nous fait voir une déchirante dynamique des corps.


Ema, la danseuse mystérieuse aux cheveux plaqués blonds platines semble détenir une puissance inimaginable que laisse entrevoir son corps en mouvement lors de la scène de danse où elle apparaît devant un mur de LED géant depuis lequel un soleil brûlant rayonne extrêmement. Ce personnage ravageur, cette prédatrice au comportement quelquefois enfantin surprend par ses motivations et sa force d’action. La liberté émane de ses mouvements, lorsqu’elle danse, lorsqu’elle brûle un feu rouge avec un lance-flammes, ou encore lorsqu’elle s’arme cette fois de son corps pour séduire.


On prend goût à découvrir, à travers un récit déstructuré et un montage non-linéaire, les multiples ébats, débats et combats qui rythment avec une violence sèche la vie d’Ema. Les faces à faces avec son mari représentent un niveau d’expression cru rarement atteint, où la caméra les sépare entièrement et les places l’un en face de l’autre à une distance à laquelle les pires reproches sont crachés au visage de l’autre. De la difficulté de leur couple d’artiste à celle d’être parent stérile et d’avoir adopté un enfant qu’ils ne parviennent pas à aimer, ce sont des torrents d’émotions inexprimables que leurs corps viennent visiblement rendre à la caméra par une mystérieuse grâce.


La dévoration entre les personnages lors de nuits torrides, enflammées ou lors de journées ensoleillées, est accentuée par une photographie trop parfaite. La lumière est électrique, urbaine, elle provient aussi des néons, du feu, ou encore du soleil. Les couleurs motifs roses et vertes reviennent à répétition et donne au visage des personnages une étrangeté insondable. Cette dualité, cette opposition des teintes prend sens avec les oppositions humaines qui sont entièrement centrales dans le film. Non loin d’une esthétique colorée à la Refn avec The Neon Demon où la peau est trop parfaite qu’elle en devient bizarre, le vert ici rappelle plutôt une illustration de la schizophrénie dans Vertigo de Hitchcock. Ces visuels transcendants qui traduisent un désir surplombant et macabre, sont sublimés par la bande originale électronique minimaliste composée par Nicolas Jaar. Cette nappe sonore d’une beauté toxique qui était auparavant composée par Mica Levi dans Jackie, prend une ampleur remarquable et inoubliable.


Dans ce portrait flamboyant d’une femme et des générations, Pablo Larraín trouve une forme d’expression qu’il maitrise (à l’exception d’un épilogue forcé). Il emploie les corps comme rouages à une micro-société inter-dépendante, et il introduit sur les visages des couleurs cachées. Le film est finalement captivant par les mécanismes de destruction que la douce puissance de la mise en scène laisse entrevoir.


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Psukhe
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le 22 oct. 2020

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