L'enfant et le feu
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le 27 août 2020
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Le nouveau film de Pablo Larrain s’ouvre sur un superbe plan : un feu de signalisation flambe dans la nuit. La perfection chromatique de la photographie (les lumières électriques de la cité, l’orangé vorace du brasier) accompagnée par la musique dense de Nicolas Jaar impose une poésie toxique, où la beauté semble émerger de la destruction, et l’interdit (le feu rouge) un défi à une affirmation radicale de la liberté.
Le portrait d’Ema trouvera sa source dans cette mystérieuse performance. Celle qui, à intervalles réguliers, s’arme de son lance-flamme pour aller flamber le mobilier urbain, concentre toutes les contradictions. Un visage minéral et impénétrable, sur un corps en expression permanente, par le biais de la danse ; une volonté de guerrière et une séductrice hors-pair ; une enfant sans garde-fou et une mère éplorée : Ema échappe aux cases, improvise sa vie tout en suivant un plan savamment édifié, et laisse, souvent, pétrifiés ceux qui sont happés à sa périphérie.
Le film de Larrain épouse ces méandres autour d’une intrigue elle-même profondément torturée : celle d’un couple décidant de rendre l’enfant qu’ils avaient adopté, incapable de gérer sa violence et suite à l’accident de trop, où il a brûlé le visage de sa tante. Cette thématique centrale du feu symbolise le rapport des protagonistes, devant composer avec une intensité (l’amour, la passion, le sexe, les corps, la liberté) qui embrase, magnifie et détruit en un même mouvement. Le montage, non linéaire, compose un portrait par fragments où la danse occupe une place prépondérante, en contraste avec les scènes de dialogue du splendide duo entre Mariana Di Girolamo et Gael Garcia Bernal, par plans fixes massifs et répliques d’une violence vouée à la destruction de l’autre, l’une reprochant à l’autre d’être un porc stérile, quand celui-ci lui renvoie à la figure sa figure de mère démissionnaire.
La fuite en avant consiste en une poursuite d’une protagoniste qui ne semble pas elle-même contrôler sa trajectoire. Pourtant, le fil rouge des chorégraphies, la maîtrise très nette de la mise en scène et l’écheveau croissant des personnages secondaires indique le contraire. Particulièrement soigné du point de vue esthétique, mais dans des directions très différentes des précédents films du réalisateur (le vintage historique de Neruda, le glamour glacial de Jackie), Ema est un film urbain, électrique, où les couleurs rappellent les expériences clipesques de Refn, la musique au premier plan prenant le relai sur l’opacité des comportements. Un exercice de style où la forme est souvent un rempart à la nature fragile d’une âme perdue, qui construit gestes et étreintes pour compenser le gouffre insondable de sa perte.
C’est donc par déchirures occasionnelles que surgit la douleur, immédiatement rattrapée, intégrée à une danse, à une baise, une flambée, alors qu’en arrière-plan, le trajet se poursuit. Prédatrice, enfant blessée, artiste écorchée vive, Ema élabore un plan qui va renverser la structure familiale et les conventions morales du récit, poursuivant l’étonnement constant de ceux qui la côtoient.
Dans cet étrange épilogue, l’amour aura pris la forme d’une déconcertante déclaration, mais restera l’évidence qui ne pouvait pas être étouffée. Comme un brasier qui reviendra, toujours aussi beau, toujours aussi abrasif.
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le 2 sept. 2020
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