L'enfant et le feu
Après le miraculeux biopic qu’était Jackie, Pablo Larrain revient avec Ema, une oeuvre difficile à empoigner mais dont la vitalité et la force de fascination l’emportent sur tout le reste. Après...
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le 27 août 2020
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À quoi bon se moquer de 50 nuances de grey si c'est pour célébrer ce genre d'égarements ? Les deux films sont à la fois mauvais et fascinants, celui-ci a le mérite d'être plus ambigu – à moins que ce portrait hideux de la 'libération' soit perçu comme joyeux (et non stigmatisant ou infamant). Immature et sèche à la fois, cette Ema est une irresponsable teigneuse et un débris typique presque 'lissé' par son activité de danseuse – avec ses collègues saltimbanques elle rivalise en roulage de culs et performances cryptiques pour contemplatifs [bovins complaisants] sur-éduqués ou publics en quête d'ivresses collectives à forts prétextes artistiques.
Je suis radicalement biaisé car dès le départ je trouvais à cette protagoniste une allure d'étuis pour hachoir à viande, mais l'effort est venu de mon côté car rien dans la confection du film n'est fait pour élever le niveau. Il est toujours partagé entre fidélité et désincarnation envers ses sujets, pour un rendu pas si désagréable, mais détestable. Comme ses sujets principaux il relativise tout ce qui croise son chemin et le laisse périr à force de négligence ; son goût de la libération et de celle spécifiquement féminine n'est qu'un petit cachet pour éviter de reconnaître sa nature de plaidoyer 'passif' pour une psychopathe sans charme.
Elle met le feu à une voiture, à un jardin d'enfants et c'est filmé avec emphase, comme si on nous permettait d'assister de façon semi-clandestine à un geste grave et beau, élévateur, de la liberté pure. Sur ce dernier point ce n'est pas faux ; s'il fallait indiquer la fatuité de cette pureté, c'est efficace ! D'autant que les transgressions au programme sont bien malsaines, en tête la relation érotisée avec son enfant ; cette génitrice n'est pas capable de comprendre que c'est nuisible – mais comment pourrait-elle concevoir quoique ce soit pour autrui, ou quelque bénéfice à la moindre limitation pour elle qui ne sait passer au travers d'une frustration ? Elle fait partie de ces gens incapables d'envisager autre chose que leur ressenti et la morale de leurs instincts ; elle est tout aussi débile que cette 'mère conservatrice et folle' qui lui aurait tant nui (c'est donc encore une femme qui a gâché les premiers pas dans l'existence de celle-ci, heureusement le féminisme est imperméable à la vérité même quand il la cite). Il est possible qu'elle ne soit même pas une inversion mais carrément la variation punk, portant la même nature de prédatrice arriérée et armée de son rôle (anti-)social. Or le film ne fait que la cautionner aveuglément, ce qui est une bonne pratique a-priori, mais embrasser la subjectivité porte aussi le risque d'appauvrir constamment – et avec un tel personnage, sans un pas de côté, ça ne peut qu'être déplorable.
La fraction du monde emportant son adhésion est à son image – elle n'est pas du genre à tolérer les concessions ou l'altérité. Dans son milieu bohème, anar et L(GBT), pas de liens de confiance en-dehors du tribalisme de lesbiennes (les incarnations des autres lettres font de la figuration et sont des instruments pour la variété des plaisirs au mieux, pour se passer les nerfs et réparer la merde abandonnée sur le sillage au pire). C'est le règne de l'humeur. La façon dont psycho resting bitch face dégage la nouvelle amante du lit de son mari est cette sorte de geste passionné qu'on trouverait ridicule et archaïque dans un film d'il y a cinquante ans, ou serait montré comme tel aujourd'hui – si un homme la commettait ; ici ce devrait être un geste d'affirmation et de sincérité mais on voit simplement un nouveau comportement borné et inconsidéré. C'est à se demander si la volonté derrière ce film n'est pas d'indisposer [à force de connerie obtuse] pour obtenir des réactions d’écœurement [comme la mienne] tout en encaissant avec une cohorte de spectateurs qui n'auront pas de problème avec ce profil de personnes et l'inanité du spectacle (en succombant à ce qui peut paraître enivrant dans une telle somme d'aberrations insouciantes). Car cette sororité, bien que présentée de façon complaisante et sans une once de dérision, est une caricature de la mauvaise foi et de l'abjection des troupeaux 'anti-système' : des gens avides de pouvoir, immédiat et mesquin, dans une posture anti-bourgeoise. Que de la rudesse et du vieillissement accéléré en prenant soin d'écarter toute sagesse. Une stratégie sociale offensive : afficher systématiquement son mépris et se jouer insaisissable.
Sur le chemin d'Ema, un échantillon de femmes en position 'd'autorité' (avocate, employeuse) prêtes à la disruption... L'approche frivole et orgueilleuse du réel est exclusive. Enfin si on a pu estimer que l'ossature des femmes pré-historiques occupait moins de surface car messieurs volaient le steak, oui, il est possible de voir là du féminin sacré à la perspective tellement mieux dégrossie ! Le seul contrepoint osé par le film tient en une colère de Gael : la troupe, livrée à elle-même après que ce directeur artistique ait été éconduit, danse sur du reggaeton, musique aliénante 'de prison' selon lui. Mais qui est ce gaytriarche pour prétendre chaperonner les femmes et savoir les émanciper !? Un artiste potentiellement dépravé et probablement lucide en train de perdre son temps à parler à des guenons agressives – le genre de personnes qu'il faut dire ''confiantes en elles'' pour éviter de les qualifier pour ce qu'elles sont – des abruties. Car bitchie lui répondra avec sa puissance ; et free bitchie danse la vie, la vie c'est l'orgasme et pas la beauté rance – elle n'aime pas ce qu'elle ressent devant le beau et ceci n'est pas une interprétation, c'est de la paraphrase ! C'est pourquoi Ema est une expérience limite : il n'y a pas meilleure démonstration de l'inanité de la passion de déconstruction. Avec une égocentrique sans attrait, au moins on se passe du vernis intellectuel et file direct vers la conclusion lamentable.
Malheureusement le film est servile face à Ema au mépris de l'évidence. Les dernières séquences cherchent à forcer l'admiration pour son grand stratagème visant à récupérer l'enfant ; car elle est tellement géniale qu'on avait perdu de vue cette donnée... à moins qu'elle appartienne à la périphérie de sa vie et donc du film. Il y a quelque chose d'aberrant dans cette issue, d'inconsistant dans le scénario (ce qui pendant l'ensemble de la séance gêne peu car c'est raccord avec l'environnement). Une sorte de famille multiple se dessine sous nos yeux, il faut toujours montrer la chose sous un angle magique ou mirifique, or le résultat pue le glauque (sans même tenir compte du sous-entendu qu'Ema participe à la pyromanie de son fils). Le film ressemble trop à son sujet et ne sait pas rendre les choses ludiques ou sensationnelles comme le faisait Titane, certes bien aidé par l'aveuglement du Lindon sous stéroïdes ; ni humour, ni distance à soi, ni distance au monde, mais de l'intensité – primaire, brutale, stérile : tout à l'image d'Ema et son entourage. Larrain est bon dans la sublimation et la compassion ciblant des personnages écrasés par le devoir (même s'il a un rapport transi envers les héroïnes et leurs émotions dans Jackie et Spencer) ; hors de cette ornière, il n'y a que cynisme et artificialité dans ses représentations. Sans le toc et la cérémonie, même pas la laideur, mais l'absence de beauté – une toile creuse sur laquelle Ema vient étaler ses pollutions.
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le 26 déc. 2022
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