Louise a 11 ans. Elle se partage entre sa mère, pianiste de jazz souvent partie pour des concerts, son père chef d’entreprise très occupé qu’elle ne voit qu’un week-end sur deux, sa grand-mère absorbée par ses parties de belote, sa copine qui ne la comprend pas vraiment. Louise se sent donc seule, le lot des enfants uniques, comme elle le suggère ? Surtout quand les parents sont divorcés... Un sentiment qui s'accentue le jour où elle est contrainte de partager sa mère avec le jeune et beau Helmut, un saxophoniste rencontré lors d’une tournée en Allemagne.


Dans une note d’intention, Michèle Rosier déclare « que se sentir seule c’est se sentir être ». Pas uniquement dramatique donc. C’est pourquoi la cinéaste adopte un ton léger. L’enfant est le plus souvent montrée épanouie, enjouée, que ce soit quand elle fait du patin à roulettes dans les rues de Paris, à la piscine avec Helmut ou rêvassant avec sa meilleure amie. Michèle Rosier a voulu mettre en scène une enfant qui en apparence a tout : elle vit dans un bel appartement, sa mère comme son père sont valorisés, elle a une amie à qui se confier. De quoi justifier le charmant minois qu’affiche la jeune Sophie Rochut.


Pourtant, cette façade cache un mal-être : on lui prête à chaque fois une attention limitée, ce qui génère chez elle la sensation de n’exister jamais pleinement, tant nous dépendons tous du regard d’autrui. La scène où sa grand-mère ne se rend pas compte qu’elle est encore là, déplorant "qu’elle soit partie sans rien dire à personne", est révélatrice. Comme les enfants capricieux, Louise se fait donc remarquer : elle jette des fleurs par terre pour attirer l’attention de sa mère, débarque à l’improviste dans l’entreprise de son père, finit par fuguer, avant de se couper les cheveux comme un garçon. Et, comme ça ne suffit toujours pas, se jette dans la Seine.


C’est la limite du film : son manque de crédibilité. Rendre crédible un tel acte, chez une enfant qu’on a montrée comme allant plutôt bien, était une gageure. Le pari n’est pas tenu. Le film souffre d’ailleurs de ce problème de crédibilité à d’autres niveaux. Il se trouve que je suis dans le jazz, et je dois dire que je n’ai pas trouvé très réaliste notre Dominique Valadié en pianiste de jazz.


D’abord, un musicien de jazz ne couvre pas ses murs de posters de jazz. Je n’ai jamais fait ça chez moi et pas non plus vu ça chez des collègues. La fameuse photo de Dexter dans des volutes de fumée, le portrait de Billie fiché dans un miroir, le bouquin sur le jazz négligemment posé sur la table de chevet, c’est très didactique, mais peu réaliste. (Certes, je ne parle que de mon expérience, je ne prétends pas que ça n'existe pas, mais on ne m'enlèvera pas de l'idée qu'il y a là une façon un peu lourdingue d'exprimer la passion de notre pianiste.) Ensuite, une pianiste de jazz ne reçoit pas des bouquets de fleurs d’admirateurs, ou alors c’est que c’est Keith Jarrett peut-être. Elle n’habite pas non plus dans un grand appartement bourgeois au milieu de Paris, ou alors c’est que c’est une riche héritière. Elle ne déclare pas « le premier morceau, je l’ai moins bien réussi qu’hier » : un jazzman ne raisonne pas en ces termes, on ne « réussit » pas un morceau, mais ce serait trop long de développer. Enfin, c’est très courageux à Dominique Valadié d’avoir travaillé son doigté pour rendre crédible qu’elle joue avec Helmut le morceau qu’on entend, mais malheureusement non, si on suit la mélodie, on voit bien qu’elle simule. Ah, les femmes qui simulent…


Voilà pour le jazz. Mais je ne vais pas me plaindre qu’on entende de la bonne musique (signée Aldo Romano, avec au piano ce grand poète qu’était Michel Graillier), c’est même l’un des aspects qui m’ont retenu devant le film.


Il y a un autre problème : la rencontre avec le photographe. Pas très crédible qu’un adulte se prenne d’amitié subitement pour une enfant, au point de passer la journée avec elle comme ça… Mais ce point-là est nettement moins rédhibitoire, car il apparaît dans le film comme une parenthèse enchantée, une sorte de conte de fées pour Louise. Le choix de Yann Colette, au physique très atypique, sert cette idée de merveilleux (la Belle et la Bête ?). Michèle Rosier a voulu montrer un âge charnière, entre l’enfance et l’adolescence, un âge pas si souvent montré au cinéma, où l’on vit ses premiers émois (la découverte du corps d’Helmut nu) tout en restant arrimé à l’enfance : les patins, les peluches, les déguisements, les discours devant un miroir, les câlins à sa maman. On dit encore « embrasse-moi » à sa mère et l’on n’est pas loin d’avoir envie de le dire à un homme.


Le choix d’Helmut est intéressant à cet égard car lui aussi paraît « entre deux âges » : il est certes l’amant de Nora, mais à la piscine il est un compagnon de jeu crédible pour sa fille. Dans sa relation à Nora, nouveau problème de crédibilité : les deux se connaissent depuis quelques semaines et ils parlent déjà de mariage ? Elle « l’aime » déjà ? Possible bien sûr, mais le film ne l’étaye pas assez.


Reste ma principale réserve sur le film, celle qui m’a donné envie d’arrêter au bout de dix minutes : le jeu de Sophie Rochut. Comme souvent avec les enfants, tout va bien tant qu’elle n’a pas à dire de texte. Le problème, c’est qu’elle a beaucoup de dialogues, et qu’elle les récite. On comprend mal que Michèle Rosier ait laissé passer ça. La jeune actrice n’est d’ailleurs pas la seule : Dominique Valadier ne joue pas très juste non plus, et même Patrick Chesnay est tout juste passable. On sait qu’il est très difficile d’être bon quand le partenaire est mauvais…


Vous pouvez avoir le concerto le plus merveilleux, si les musiciens jouent faux, le moment va être pénible. Pour passer outre il faut un univers très singulier, cas typique de Bresson, dans une moindre mesure de Rohmer. Loin d’être le cas pour Michèle Rosier, dont le cinéma reste assez académique. Non dénué de qualités par ailleurs : je pense aux longs plans séquences montrant Louise patinant dans Paris, à la scène à l’arrière de la voiture où elle se retourne vers le spectateur, à la scène sur l’esplanade du Trocadéro avec la Tour Eiffel en arrière-plan… Il y a de jolies choses. Et puis quelqu’un qui choisit de baigner son film dans le jazz ne peut pas être complètement mauvais, si ?


Aucun article sur SC pour ce film, j’inaugure donc. Hélas, pas avec une très bonne note. Malgré le jazz.

Jduvi
6
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le 26 avr. 2022

Critique lue 75 fois

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