Emily avait de quoi faire envie. Réaliser un biopic sur Emily Brontë, l'autrice de Les hauts du Hurlevent, avait de quoi susciter beaucoup d'attente, a fortiori lorsque l'on est passé à côté de ce chef d'œuvre absolu de la littérature anglaise (ce qui est mon cas). La bande-annonce laissait par ailleurs supposer qu'il serait question de littérature féminine et, plus encore, du combat d'une femme libre pour atteindre au statut d'écrivain dans la très pieuse et conservatrice société britannique du XIXème siècle. Bref, beaucoup d'arguments pour découvrir l'opus de Frances O'Connor.

Sans retirer tout mérite à son film, la réalisatrice semble être passée complètement à côté de son sujet. Il ne sera guère question de littérature et encore moins de féminisme. Certes, Emily est dépeinte comme un être original et libre, aux prises avec les conventions morales luthériennes qui corsètent cette lande perdue mais c'est la fragilité émotionnelle qui constituera la ligne directrice du film. En résumé, Emily Brontë tombe amoureuse et c'est son amour déçu qui constituera le véritable catalyseur de son génie littéraire. Si l'on échappe, par bonheur, aux clichés de la femme hystérique, on restera néanmoins sur notre faim pour ce qui est du combat intime que constitue le processus créatif de l'autrice.

Sur le plan formel, la mise en scène est d'un très grand classicisme, avec bande son entêtante et slow-motion datée, qui renvoient davantage à un téléfilm pour la BBC qu'à un long métrage pour grand écran. Tout n'est pas à jeter néanmoins : les costumes sont superbes, les acteurs sont convaincants et l'image est léchée. On ressent avec beaucoup de justesse la rudesse des conditions de vie dans la lande britannique et la rigueur de la morale protestante omniprésente. La peinture des rapports familiaux sont le grand atout du film. Les relations qu'entretient Emily à son frère et à ses sœurs, entre affection et rivalités, sont mises en scène avec beaucoup de subtilité. Si ce n'est que la réalisatrice tord quelque peu le cou à la réalité : Charlotte Brontë, la sœur aînée d'Emily, est dépeinte comme une sainte-nitouche à l'esprit étroit. Elle est pourtant l'autrice de Jane Eyre, autre grand classique de la littérature anglaise, et c'est le succès du roman de Charlotte qui rendra possible la publication du seul roman d'Emily. Ce que le film éludera allègrement.

Bref, Emily se laisse regarder, non sans sans plaisir, mais la réalisatrice manque malheureusement sa cible. A trop focaliser le récit sur son personnage, la réalisatrice empêche le spectateur de bien saisir l'arrière plan de la trajectoire biographique de cette écrivaine à la vie fulgurante. Dommage.

Samfarg
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le 1 août 2023

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