La somme élevée d'un prêt étudiant qu'elle ne peut rembourser.
La marque indélébile d'une condamnation judiciaire qui l'empêche d'obtenir un emploi à sa hauteur.
Un petit job de livreur totalement soumis aux desiderata de son chef.
Comme bon nombre de jeunes de son âge au potentiel stoppé en pleine course par les aléas de la vie, Emily se retrouve étouffée par le poids d'une société américaine qui lui ferme désormais toutes ses portes une à une en lui rappelant sans cesse son échec.
Entre la formidable scène d'ouverture mettant en lumière toute la perversité des recruteurs à l'égard de sa candidature ou ces regards condescendants de cadres en tailleurs posés sur elle alors qu'elle leur livre de la nourriture, "Emily The Criminal" nous fait bien ressentir ce quotidien fait de frustrations permanentes où Emily est juste bonne à se taire et à être exploitée. Même l'échappatoire d'un poste promis par sa meilleure amie (à la réussite éclatante) semble lui aussi se résumer à un mirage entretenu dans une relation à sens unique.
Mais, lorsqu'un collègue lui propose un moyen pour gagner facilement 200 dollars en une heure, la vie d'Emily va basculer. Découvrant un univers criminel quasi-professionnel, s'affranchissant des règles dont elle se considère être la victime depuis bien trop longtemps, la jeune femme va plonger la tête la première dans un engrenage d'illégalité où elle va enfin pouvoir s'affirmer à la pleine mesure de ses capacités jusqu'alors bridées...
Bien plus malin qu'un énième film d'arnaque classique et grandiloquent qui verrait l'ascension fulgurante d'Emily se dérouler sans le moindre heurt, ce long-métrage écrit et réalisé par John Patton Ford (impressionnant de maîtrise pour une première oeuvre) va au contraire faire le choix de s'ancrer sur un terrain cherchant à tutoyer le réalisme de sa sphère criminelle, où la volonté de s'en sortir d'Emily par tous les moyens rencontre fatalement la violence exponentielle de cette voie pour l'amener à se libérer un peu plus de ses chaînes et à se surpasser à chaque nouvelle difficulté. En cela, un des vrais tours de force de "Emily The Criminal" est de nous faire partager au plus près la forme d'accomplissement tant désirée (et insatiable) que peut représenter cette "carrière" pour un personnage que tout avait cherché à faire stagner sur ce point.
De par ce que recouvre sa crainte d'être toujours le jouet d'autrui à ce qu'y est mis en place comme barrières sur sa route vis-à-vis d'un éventuel retour à la normale, le film fait d'Emily une anti-héroïne magistrale, écartelée par son envie naïve de réaliser ses rêves au-delà de toutes les flèches paralysantes que la société lui a décoché (et lui décoche encore) et sa propension de plus en plus résolue à y parvenir par un biais qui va justement à l'encontre des normes établies par cette dernière. La montée en puissance du personnage sera dès lors implacable, captivante, renforcée par un véritable sentiment d'immersion dans ce milieu et ses périls dont elle finit par se nourrir avec une avidité toujours plus égoïste, jusqu'à en être totalement enivrée par les propres règles qu'elle y établit, dans des proportions qui en viennent même à ignorer de possibles dommages collatéraux...
Emmené par une nouvelle prestation irréprochable d'Aubrey Plaza (décidément parfaite dans tous les registres, quelle comédienne !), "Emily The Criminal" nous aspire donc de façon irrémédiable dans sa spirale criminelle passionnante, témoin d'une vision terriblement pessimiste de la société américaine et de ses composantes écrasantes pour qui ne rentre plus dans son moule, obligeant une frange de sa population exploitée bien en-deça de son potentiel à aller s'aventurer à la marge de son système, quitte à s'y laisser engloutir pour y retrouver enfin pleinement le goût de vivre.
Quel premier film !