C'est la première fois que j'écris une critique sur un film érotique, ça fait bizarre. Je ne me souviens plus exactement quand j'ai vu ce film pour la première fois, mais je devais déjà être un jeune adulte puisque c'était en VHS, et ça ne m'avait pas remué plus que ça, et à chaque fois que je le revois comme c'était le cas récemment, je ne peux m'empêcher d'éprouver à la fois une certaine nostalgie et un amusement ironique.
Nostalgie parce que c'était une époque bénie où l'on pouvait faire l'amour comme on voulait et avec qui on voulait, le sida n'était pas encore passé par là. De plus, il faut avouer que ce film a beaucoup fait pour la libération des moeurs car avant Emmanuelle, la France était très repliée sur elle-même, on ne parlait quasiment jamais de sexe, même entre amis, les tabous étaient nombreux. Bref, ce petit film à l'érotisme soft est arrivé et d'un seul coup, tout s'est décoincé, en 1974 on était en pleine époque de "peace and love", on voyait les premiers seins nus sur les plages, on prônait l'amour libre et même Michel Polnareff montrait ses fesses sur les murs de Paris, c'est dire si ça avait changé. Tout le monde s'est rué pour assister aux tribulations aphrodisiaques de Sylvia Kristel ; résultat : 2 millions d'entrées, un triomphe qui connaitra 5 ans d'exclusivité en salles, et un film qui a fait l'effet d'une bombe dans le paysage cinématographique français.
Il fut suivi d'une poignée de séquelles plus ou moins réussies, on surfait sur la vague car toute une industrie du film érotique (ou coquin comme on disait) s'est mise en branle (si je peux me permettre ce mauvais jeu de mot). Film pionnier qui inaugurait un "cinéma de photographe" (Just Jaekin venant de la photographie), dont les procédés aseptisaient les sujets interdits et mettaient sous cellophane de chastes nudités, on est d'accord que vu aujourd'hui, il inspire un amusement ironique comme je le disais plus haut, et il ne provoquera à la rigueur qu'une demi-érection chez un ado normalement constitué. Les images sont belles , l'exotisme est présent, et la musique envoûtante de Pierre Bachelet accompagne parfaitement ces ébats sexuels qui ne restent pourtant que de sages simulations, on peut se demander comment tout ça a pu faire scandale, mais il est vrai qu'en 1974, dans cette France giscardienne conservatrice, on ne faisait pas vraiment la différence entre érotisme et pornographie.
Cependant, à travers le personnage qu'incarne Sylvia Kristel, de l'étoffe d'une amoralité tranquille et d'une distinction perverse, il faut y voir autre chose, elle correspond à l'idéal féminin des années 70, où toute une esthétique de l'oisiveté, de l'ennui, de l'argent, du libéralisme et du voyage dans le tiers-monde filtre à travers elle, portant ainsi les oripeaux d'une séduction aujourd'hui datée mais qui est durablement ancrée dans une époque, c'est ça qui est intéressant aussi dans ce film, d'où l'importance avant d'en sourire ironiquement, de le replacer dans son contexte d'époque.
A noter que la décision des ayant-droits de supprimer sur SC les affiches des films de la saga Emmanuelle est plutôt ridicule quand on peut les voir à foison sur google, cette affiche reste d'ailleurs culte :
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