Un de mes grands plaisirs à Dublin est de me rendre au bureau de poste central de la ville, et cela même quand je n'ai rien à y faire ! Je ne me lasse simplement pas de ce lieu qui a conservé sa configuration intérieure d'origine et surtout son ameublement et ses espaces. Je m'y installerais volontiers pour écrire une lettre -elle serait intense, j 'en suis sûr- à une bonne amie ou même simplement pour y lire tranquillement comme dans un salon de lecture. Combien d'histoires sont nées, se sont développées, y compris en marge de la grande Histoire de l'Irlande, dont la grande poste de Dublin est un haut lieu ? Combien de films auraient pu prendre comme cadre ce lieu mythique ?

Mais cela n'a rien à voir avec le film Empire of light de Sam Mendes. Quand Sam Mendes a fait le casting de son film et que Olivia Colman/ Hilary, Mickael Ward/ Stephen, Toby Jones/ Norman, Tom Brook/ Neil, Christal Clarke/ Ruby et Colin Firth/ Donald Ellis ont été retenus, il lui manquait toujours le personnage principal : la salle de cinéma de ses souvenirs. Si la poste centrale de Dublin existe encore bel et bien, le cinéma l'Empire est une fiction, une illusion même. Sam Mendes l'a créée de tous décors.

Personnage principal de Empire of light, de l'univers de la lumière triomphante, la salle de cinéma abrite en son sein une communauté d'hommes et de femmes qui la font vivre tout en vivant leur vies propres.

Norman (épatant) est celui qui est à la manœuvre pour que la lumière jaillisse ; il est le fidèle serviteur de cette dea ex machina faite de tôles, d'une lentille et de petits mécanismes de précision qui font d'une succession de simples photographies une scène vivante, parlante et enchanteresse. Elle est reine et déesse à la fois, imposante par sa stature, accueillante pour la pellicule argentique qui défile au kilomètre, capricieuse quelquefois.

Hilary est la gérante attentive qui fédère et donne son âme à cette communauté dont Ruby est la jeune mascotte et Neil le Pierrot affectueux.

Stephen est un jeune homme de couleur qui rejoint l'équipe du cinéma pour un temps limité en attendant que l'Université surmonte enfin sa politique de ségrégation sociale dont une partie de la population est victime sous la férule de Margaret Thatcher et la menace des hordes de la droite extrême qu'elle couve en son sein.

Donald Ellis est le propriétaire du lieu. Personnage fade, sans caractère véritable qui profite de sa position pour exiger des faveurs sexuelles à la sauvette d'une Hillary qui peu à peu révèle une mélancolie qu'elle cache tant bien que mal.

Le magnifique cinéma Empire  où se déroule tout le film de Sam Mendes n'existe pas ou plutôt n'existe que dans ses souvenirs nécessairement embellis. Magie du cinéma, mains et doigts de magiciens, les décorateurs de film que le réalisateur a sollicités ont transformé une salle de danse simultanément en salle de cinéma et en entrée majestueuse dans le saint des saints ; la façade art-déco ripolinée et patinée offre les extérieurs du film. Même les salles de cinéma, désaffectées et quelque peu délabrées, de ce qui était une friche commerciale dans un parc d'attractions laissé un temps à l'abandon, trouvent leur place dans le film.

Illusion du cinéma dont les rushs confiés à un monteur expérimenté nous feront croire que le cinéma Empire existe bel et bien et qu'il est ce lieu chaleureux, beau et protecteur que souvent seuls les plus beaux films offrent pendant un court moment à ceux qui se glissent dans une salle obscure.

Hillary ne voit jamais les films qui sont à l'honneur dans ce lieu, ces films dont Neil ne perd pas une miette et qu'il l'invite à regarder plus souvent. Quand elle décide enfin de le faire, c'est un nouveau pas vers la guérison qu'elle franchit. Le cinéma ravit, le cinéma soigne les maux de l'âme et le cinéma protège.

Avec Empire of light le cinéma était au cinéma et l'histoire d'amour entre Hillary et Stephen fleurissait dans le film.

Freddy-Klein
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le 11 mars 2023

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Freddy Klein

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