Empire of Light est le premier film réalisé par Sam Mendes dont il a écrit entièrement le scénario, c'est donc un film très personnel. Dans la filmographie déjà riche de Sam Mendes, ce drame humain, doublé d'une très belle rencontre entre deux êtres que tout oppose, s'apparente davantage au célèbre American Beauty (1999) ou bien au Les Noces Rebelles (2008), qu'à toute autre réalisation, même si c'est une oeuvre unique par son atmosphère sombre et poignante, dans une ambiance surannée mais aussi très poétique puisque quelques beaux poèmes égrènent le film.

Ainsi, la beauté de ce film est de situer l'intrigue, en 1980/81, dans un vieux cinéma des années 20, (le Dreamland, partiellement réhabilité et renommé l'Empire pour le film), installé sur le front de mer à Margate, une station balnéaire de la côte sud-est de l'Angleterre.

Ce décor, entièrement d'époque et aux couleurs chaudes, est très symbolique du message que veut faire passer le réalisateur, utilisant le Cinéma comme catalyseur de cette magnifique et improbable histoire, montrant ainsi son amour pour le 7ème art, mais de façon très différente que les récents Babylon et The Fabelmans !

Hilary Small, la gérante du cinéma, une femme d'âge mûr à la santé fragile et bipolaire, écrasée de solitude, sous traitement médicamenteux et fréquemment en soins à l'hôpital, fait vivre au quotidien l'Empire avec une petite équipe d'employés pittoresques et indisciplinés, mais ne voit jamais un film. Hilary est excellemment incarnée par Olivia Colman (vue dans The Father et la Favorite), par un jeu subtil et tout en intériorité, nous montrant avec beaucoup de sensibilité ses moments de tristesse et plus rarement de joie qui éclairent son visage. Hilary est sous la coupe de son directeur Donald Ellis, détestable, ambitieux et ne pensant qu'au rayonnement culturel de son cinéma auprès de la société locale; Donald se croit permis d'abuser d'Hilary car il lui assure son travail; le rôle de Donald est ingrat et à contre emploi pour Colin Firth, acteur anglais de renom, mais qu'il joue finalement avec le cynisme et le flegme requis.

Stephen Murray, un jeune homme de couleur habitant chez sa mère à deux pas de l'Empire, arrive comme employé dans l'équipe d'Hilary, en attendant de pouvoir intégrer une université pour des études d'architecture. Mais il est victime de l'ostracisme ambiant et des violences envers la communauté Noire dans l'Angleterre Thatcherienne du début des années 80. Stephen est brillamment joué, avec nuance, écoute et sensibilité, par le jeune et très prometteur Micheal Ward.

La rencontre amoureuse entre Hilary et Stephen, pour aussi improbable qu'elle soit, va se faire dans les espaces désaffectés de l'Empire, avec tendresse et romantisme, autour de soins apportés à un oiseau habitué des lieux. Par une belle alchimie, Hilary et Stephen s'épaulent l'un l'autre, cahin caha, tout au long des épreuves tragiques qu'ils traversent pendant le film, un beau message d'espoir en l'humanité.

Dans l'équipe du cinéma, le personnage le plus charismatique est Norman, le machiniste, joué par un Tobby Jones excellent et très attachant; Norman transmet sa passion pour le Cinéma par sa fine connaissance des techniques de projection, de changement des bobines, ainsi que par son antre tapissé d'affiches de films. Ainsi il explique à Stephen que l'oeil se laisse tromper par les 24 images par seconde et ne voit pas les noirs qui les séparent (le fameux effet Phi), une illusion de la vie rendue magique par cet Empire de la Lumière et qui pourrait panser nos plaies ?

Confident de Stephen mais aussi d'Hilary, Norman lui conseille vivement de continuer à s'occuper de lui, car il regrette d'avoir rompu toute relation avec son fils depuis 14 ans et ne se souvient plus pourquoi; ces liens renforcent l'émotion et la poésie du film, ainsi que la symbolique de la belle romance éclairée par la lumière du Cinéma.

Et on aime quand Hilary va enfin demander à voir un film, Norman lui projette en clin d'oeil Bienvenue Mister Chance (de Hal Ashby, 1979). Est-ce le signe qu'elle va mieux ?

Le film se termine par un superbe poème de Philip Larkin, signifiant qu'à tout moment dans la vie, on peut toujours repartir de zéro, un message d'espérance lancé par Sam Mendes ?

Un beau et grand film qui délivre au spectateur une intensité dramatique très bien scénarisée et avec le Cinéma comme accélérateur.

Espérons qu'Empire of Light restera parmi les meilleurs films de l'année 2023 !

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le 18 mars 2023

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Azur-Uno

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