L'originalité d'un film comme It Happened Here, s'intéressant à l'uchronie d'une Allemagne nazie qui aurait réussi à envahir l'Angleterre en juin 1940, est redoublée par son contexte de production. Un projet qui s'étala sur huit années avec un budget rachitique, qui reposa sur des acteurs non-professionnels, qui bénéficia de l'aide de cinéastes professionnels comme Stanley Kubrick (pour des bouts de pellicules) ou Tony Richardson (pour un soutien financier), et qui à l'origine fut initié par un duo de réalisateurs alors âgés de... 18 et 16 ans. Et franchement, il y a de quoi être bluffé bien au-delà des approximations techniques et de la forme pas toujours gracieuse, dans la maturité du regard qui accompagne une infirmière irlandaise, arrivée à Londres après avoir fui son village, et dans son évolution en tant qu'infirmière dans un pays sous le joug d'une armée d'occupation.
Je crois qu'on peut qualifier l'absence de manichéisme pour ce film qui débuta à la fin des années 1950 d'assez extraordinaire. Le personnage principal de l'infirmière, Pauline, interprétée par une femme qui n'était pas actrice, se définit dans un premier temps au travers de sa navigation à vue, sans anticipation, avec d'un côté ceux qui pensent que la collaboration est la meilleure option et de l'autre ceux qui s'impliquent dans la résistance. C'est ainsi dans un premier temps un personnage qui s'intègre dans la structure d'une institution nazie, au sein d'une unité mobile de soin, sans idéologie particulièrement revendiquée, avant tout prise dans le tumulte de son temps et occupée par les vies à sauver, quelles qu'elles soient. Graduellement, une conscience émerge.
Il y a deux événements marquants dans En Angleterre occupée. Le premier, c'est une scène de débat entre plusieurs personnages, certains relativement apolitiques et d'autres frontalement nazis, ces derniers expliquant la supériorité de la race aryenne, les relations entre judaïsme et communisme, et tout ce à quoi on peut s'attendre de la part de personnalités aussi cramées du cerveau. Le problème, ou plutôt l'originalité, c'est que le rôle du nazi de service est confié à un véritable néo-nazi. Une scène glaçante évidemment, montrant un hitlérisme ordinaire, au malaise amplifié, qui fut d'ailleurs coupée au montage pendant très longtemps avant d'être réintégrée. Le second se situe dans un hôpital dans un coin de campagne anglaise, au calme, où Pauline a été réaffectée après avoir été accusée de tendances non-collaborationnistes. Un jour, un groupe d'ouvriers polonais est accueilli pour les soigner, tous étant atteints de tuberculose et nécessitant une vaccination. Pauline est chargée d'administrer le vaccin, mais sans qu'elle ne le sache, il y avait une autre substance dans les seringues... Une séquence tragique et effrayante.
On peut regretter que le film expédie aussi abruptement sa conclusion, les cinq dernières minutes étant aussi denses que précipitées et brouillonnes. Mais It Happened Here reste un film marquant, en décalage complet avec le reste des productions de l'époque (et au-delà) sur des thématiques similaires.
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