Tombé sous le charme de cette fantasque histoire d’amour à la lecture du roman d’Olivier Bourdeaut, j’étais curieux de découvrir quelle adaptation Regis Roinsard allait en tirer, lui qui a prouvé avec Populaire qu’il était capable d’adopter un parti pris visuel fort pour raconter une époque et traduire une atmosphère hors du temps.
Un des points forts du livre, mais aussi sa complexité pour un passage au grand écran, est qu’il est raconté du point de vue de l’enfant, avec tout ce que ça implique en termes de perception partielle et idéalisée de la réalité. La naïveté et l’émerveillement qui conditionnent l’imaginaire d’un jeune garçon rend la distinction entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, ou pas tout à fait, difficile.
Or Roinsard choisit un récit à la narration plus classique, avec un spectateur omniscient qui n’observerait pas le couple à travers les yeux de leur fils mais le verrait bien évoluer devant lui.
Forcément on y perd en poésie. Si le réalisateur essaie de capturer l’énergie fantaisiste, le tourbillon surréaliste qui innervait le roman, il n’y parvient qu’en partie.
Passé une introduction calamiteuse où tout sonne faux et qui fait craindre le pire pour la suite, En Attendant Bojangles trouve progressivement son ton. Il s’appuie sur une direction artistique léchée et des dialogues très écrits, au style ampoulé, très littéraire. Un matériel difficile à appréhender pour l’acteur instinctif qu’est Duris, pas du tout à l’aise avec une première partie très ludique où Camille et Georges s’amusent à jouer aux aristocrates flamboyants. Paradoxalement, c’est quand le récit s’assombrit et qu’il gagne en dramaturgie que Duris s’avère bien plus convaincant.
Mais l’essence de cette histoire d’amour fou (littéralement), c’est grâce à Virginie Efira qu’on la touche. L’actrice belge livre une nouvelle fois une prestation magistrale, déconcertante de facilité pour passer de l’euphorie d’une folie douce aux signaux funestes d’une démence qui finit par prendre le dessus. Peu d’actrices ont cette palette de jeu si vaste, cette capacité naturelle à varier les registres. Qu’on lui donne tous les César.
Elle y est pour beaucoup si, dans ses ultimes scènes, dans ses derniers moments, En attendant Bojangles parvient à atteindre enfin l’émotion du roman. Il nous laisse un peu groggy au terme d’une conclusion déchirante.