En avant
6.8
En avant

Long-métrage d'animation de Dan Scanlon (2020)

Dans un monde peuplé d’elfes, licornes, sirènes et autres créatures fantastiques, la magie a complètement disparu. Désormais, toutes les créatures vivent au rythme de la télévision, de la voiture et de la machine à laver. Pourtant, chez la famille elfe des Lightfoot, le fils aîné Barley est persuadé que la magie qui emplit leur passé n’a pas disparu. Ses convictions sont renforcées lorsque son jeune frère Ian reçoit le jour de son 16e anniversaire un cadeau posthume de leur père, mort il y a de nombreuses années : un bâton de sorcier ! En effet, leur père a créé un sortilège qui leur permettra de le faire revivre 24 heures, afin qu’il puisse dire adieu à ses fils. Mais à cause d’une mauvaise manipulation, Ian ne réussit à faire revenir que les jambes de son père ! Afin de le faire réapparaître dans son entier, les deux frères partent dans une quête d’une journée, semée d’embûches qu’ils ne peuvent imaginer…


Après deux suites consécutives (et réussies), le retour des studios Pixar à un univers original était très attendu. J'avoue même que j'étais un peu anxieux, tant les bandes-annonces nous garantissaient certes de passer un bon moment, mais nous présentaient un monde magique très peu enchanteur. Le côté geek et underground des bandes-annonces était sympathique, à n’en pas douter, mais manquait singulièrement de la magie qu'on peut attendre d'un tel film, et qui plus est d'un Pixar.
Geek et underground, le film de Dan Scanlon l'est indéniablement et c'est d’ailleurs proprement hilarant. On l'entrapercevait dans les bandes-annonces, le concept du monde ayant perdu sa magie est une source inépuisable de gags, parfois attendus, mais souvent surprenants, ce qui garantit un quota important de véritables éclats de rire. Le scénario n’est d’ailleurs pas en reste, recyclant toutes les étapes classiques du buddy movie, non sans une malice salutaire.
Il n'empêche que le spectateur tatillon pourra reprocher au scénario un certain manque d'originalité et il n'aura pas fondamentalement tort. Même si certaines péripéties peuvent surprendre dans un prime abord, le spectateur un peu rôdé aux films d’aventures et aux buddy movies ne s’étonnera guère de ce qu’il voit. Pour autant, cela ne signifie en rien que l’on s’ennuie ou que l’on regarde tout cela d’un œil blasé, loin de là !


Si la majeure partie du film baigne dans cette ambiance urbaine, souvent des bas-fonds, la deuxième moitié nous réserve tout de même quelques belles scènes de pure fantasy, pleines d'ampleur et de poésie. On pourra leur reprocher de passer trop vite, ce qui est vrai, notamment dans la résolution souvent trop rapide d’obstacles judicieusement placés sur le chemin des héros, mais cela permet au scénario de se concentrer davantage sur ses enjeux profonds, ce qui n’est donc pas une perte.
Là où, en revanche, on ne peut pas reprocher sérieusement au film son manque d'originalité, c'est dans la présentation de son monde magique et désenchanté. Toujours hilarant dans les détails, tout ça fourmille littéralement de vie et de détails craquants. Impossible de ne pas rire face à cet élément du décor pensé pour concilier deux mondes opposés, ou face à ce personnage figurant qui passe au second plan. Tous les plans sont à admirer infiniment, tant les artistes de Pixar adaptent à l’écran le principe de Goscinny pour la bande dessinée : « Je ne lâche une image que quand je ne peux plus mettre de gags dedans. » C’est exactement ce que font les animateurs du film ici, créant ainsi une œuvre toujours plus dense et fouillée. Désormais, dans la grande histoire de l'Art, il faudra placer Pixar quelque part entre Brueghel et Bosch...


Mais au-delà du sourire et des (nombreux) éclats de rire, perce un tragique toujours intelligent et bien pensé. Car Pixar ne serait pas Pixar sans ses formidables leçons de vie et c'est toujours le cas ici. Il est vrai, cela secoue moins que Là-haut, Vice-Versa et Coco (encore que si l’on a déjà perdu un proche, il faut quand même se préparer au grand huit émotionnel), mais ça reste de très bonne facture.
Que ce soit quand Ian découvre le véritable but de sa quête personnelle, quand un des personnages lève le voile sur un souvenir oublié ou lors


d’une ultime discussion avec un père absent depuis si longtemps, mise en scène avec une grande pudeur,


En avant prend soudain aux tripes, et dévoile l’immensité de son potentiel émotionnel.
Malheureusement, et c'est là un des défauts du film, le rythme échevelé du récit ne laisse guère le temps aux scènes émouvantes d’exploiter ledit potentiel. Il est indéniable que cela reste infiniment plus touchant et mature que tout ce qui se fait en animation ailleurs…


Mais là où En avant est vraiment brillant, plus encore peut-être, que dans son magnifique message familial, c'est dans son message général : cette description d'un monde qui a perdu sa magie, c'est évidemment celle de notre monde. Sévèrement critique envers la mondialisation et l'urbanisation, le film de Pixar est sans doute un de ceux qui osent aborder le plus frontalement les problèmes de notre monde contemporain depuis WALL-E.
Car si ce monde a perdu sa magie, écrasé (littéralement) par l'urbanisme à outrance, c'est que les gens ont perdu le véritable moteur d'une vie : un idéal. Suivant le touchant Barley, un peu paumé dans ses rêveries historiques, voir les deux frangins redonner - parfois malgré eux - un véritable idéal à tous les personnages qu'ils rencontrent (jusqu'aux plus secondaires) a quelque chose d'incroyablement grisant.


Rôle central du père dans la construction personnelle, ode à l'unité familiale et à l'entente fraternelle, importance du passé pour construire un monde plus juste... On sera en droit de trouver ça très conservateur (n'est-ce pas d'ailleurs le charme caché de tous les Pixar ?), mais comme à leur habitude, les studios à la lampe délivrent leurs leçons sans aucun moralisme, de manière intelligente et subtile... de manière profondément vraie et sincère.
Les grands fondateurs de Pixar peuvent désormais dormir sur leur deux oreilles : l'avenir du studio à la lampe est entre de bonnes mains !

Tonto
8
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le 2 mars 2020

Critique lue 476 fois

16 j'aime

Tonto

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